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pour cette Vierge, ainsi que pour la plupart de celles qu’il peignit à cette époque, était une marchande de fleurs de Florence, une fioraia, qu’il aimait, et c’est à cette circonstance que serait dû le nom que porte ce tableau. Il a reproduit souvent ce type gracieux et virginal, qui contraste d’une manière si frappante avec la beauté sévère d’une autre femme qu’il a rendue célèbre, la Fornarina, qu’il a représentée dans la plupart des compositions qu’il exécuta à Rome.

C’est pour son ami Lorenzo Nasi qu’il fit la Vierge au chardonneret de la Tribune de Florence. Comme dans la Belle Jardinière, la scène est d’une grande simplicité, presque sans action. C’est de l’art représentatif, dont il faut chercher tout l’intérêt dans la beauté du groupe et des types de figure, dans la justesse des expressions et l’harmonie des lignes générales. La Vierge se détache sur un paysage grandiose ; quelques-uns de ces arbres légers et d’une suprême élégance, que Raphaël a si souvent reproduits, projettent sur un ciel tranquille leur branchage grêle et leur feuillage rare et menu. Le Christ est debout entre les jambes de la Vierge. Saint Jean lui présente en souriant un oiseau qu’il va saisir. Ce n’est pas seulement la composition qui est ici parfaite. L’exécution, comparativement à celle de la Belle Jardinière, est ferme, pleine et serrée. C’est un des ouvrages les plus soignés et les mieux réussis de la manière florentine de Raphaël, un de ceux qui pénètrent, qui parlent fortement à l’esprit et y laissent une ineffaçable impression de paix, de bonheur calme et d’innocence.

On ne possède aucun renseignement précis qui établisse que la Vierge au voile du Louvre ait été faite pendant le séjour de Raphaël à Florence ; mais le caractère de la composition, la couleur harmonieuse et argentée, certaines faiblesses de dessin, notamment dans le haut de la draperie de la Vierge et dans l’inexplicable arrangement des jambes, ne permettent pas de rapporter ce beau et charmant tableau à une autre époque[1]. Le Christ est étendu endormi sur un grand coussin bleu. La Vierge, accroupie, vue presque de profil, entourant du bras gauche saint Jean agenouillé, soulève de la main droite le voile qui recouvre son fils. Le paysage est fermé par des ruines, des fabriques, qui laissent à peine apercevoir un horizon de montagnes. La jeune femme est attentive, presque anxieuse. Ce n’est plus seulement la pudeur virginale qu’expriment ses traits délicats et sa gracieuse attitude, mais un sentiment précis, une pensée nettement indiquée. La Vierge au voile est une des

  1. M. Passavant pense que l’exemplaire du Louvre a été exécuté à Rome, mais il ne donne pas de preuves à l’appui de cette assertion. On sait du reste que Raphaël avait fait à Florence un tableau presque identique à celui du Louvre, dont l’original est perdu, mais dont on possède des copies anciennes.