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œuvres les plus exquises que Raphaël ait faites dans cet ordre de sujets. L’enfant endormi est merveilleux, mais il est très regrettable qu’une restauration maladroite ait défiguré le petit saint Jean.

Dans ces trois ouvrages, ainsi que dans la plupart de ceux qu’il exécuta à Florence, la préoccupation de Raphaël est manifeste. Ces vierges ne sont point les mères qui semblent divines à force de tendresse et de beauté de la Sainte Famille de François Ier ou de celle du musée de Madrid, encore moins les madones triomphantes, les glorieuses reines du ciel de saint Sixte ou de Foligno, mais de jeunes filles pures et chastes, celles que l’on rêve à l’âge que Raphaël avait à cette époque, et qui ont pour seule auréole l’innocence et la virginité. Ce sont les sœurs aînées plutôt que les mères de ces enfans forts et gracieux. Chastes, heureuses, souriantes, ce sont les formes idéales qui répondent aux premières impressions de la vie. Jamais les ardeurs ni les soucis de la maternité n’ont troublé leurs regards limpides, et le pressentiment des destinées de l’enfant divin n’a pas marqué d’un sceau de grandeur fatale la candeur de leurs fronts charmans.

La Mise au Tombeau du palais Borghèse est la première excursion que Raphaël ait faite dans le domaine de l’art dramatique, et quelle que soit la valeur du Spasimo du musée de Madrid, il est permis de penser que, par la force des expressions, le pathétique naturel des attitudes, l’impression de douleur répandue sur toute la scène, il n’a jamais surpassé ce bel ouvrage. Ce tableau est daté de 1597. C’est Atalante Baglioni qui le lui avait commandé pour la chapelle de sa famille, à San-Francesco de Pérouse. Il était composé de trois parties, dont une seule, demi-cintrée, représentant Dieu le père tenant les mains élevées, est restée dans l’église de Saint-François. Les trois figures de la predella, la Foi, l’Espérance et la Charité, peintes en grisaille, se voient aujourd’hui au musée du Vatican[1]. Quant au tableau principal, acheté par Paul V Borghèse, en 1607, il est depuis resté dans la famille, et il doit à cette circonstance un état de conservation qui permet d’apprécier combien Raphaël, guidé par ce sentiment exquis de la beauté qui chez lui ne se démentit jamais, a su exprimer les sentimens les plus violens de l’âme sans détruire l’harmonie des lignes, la perfection des formes, et sans tomber dans ces exagérations discordantes qui déparent presque toutes les compositions pathétiques des maîtres primitifs. Le corps du Christ, quoique présentant quelques faiblesses, ou plutôt quelques maigreurs et quelques sécheresses de dessin, est d’une noblesse vraiment exquise. Dans les deux hommes qui le portent, dans celui

  1. Ces trois belles compositions ont été sculptées sur bois, sans doute du vivant de Raphaël et sous sa direction, par Fra Giovanni de Vérone. Elles se trouvent dans le chœur du couvent de Saint-Pierre à Pérouse.