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peintre doit représenter les choses non pas comme les fait la nature, mais comme elle les devrait faire, » et il commente lui-même cette pensée dans la célèbre lettre écrite à Castiglione précisément à propos de la Galatée. « Quant à la Galatée, dit-il, je me tiendrais pour un grand maître, si elle avait seulement la moitié des mérites dont vous me parlez dans votre lettre ; mais j’attribue vos éloges à l’amitié que vous me portez. Je sais que, pour peindre une belle personne, il me faudrait en voir plusieurs, et que vous fussiez avec moi pour m’aider à choisir celle qui conviendrait le mieux ; mais il y a si peu de bons juges, et de beaux modèles que je travaille d’après une certaine idée que j’ai dans l’esprit. J’ignore si cette idée a quelque excellence, mais je m’efforce de la réaliser. »

Cette idée que Raphaël avait dans l’esprit, et qu’il s’efforçait de réaliser, est la loi suprême de l’art. Que l’on s’en rende compte ou que l’on agisse d’instinct, lorsque l’on fait bien, c’est qu’on lui obéit. « La peinture, dit Poussin dans sa langue énergique, est amoureuse du beau ; c’est de ce beau accompli qu’elle retrace l’image. » C’est cette doctrine de l’idéalisme dans l’art que Hegel a renouvelée de nos jours avec tant de netteté. « L’artiste ne prend pas, quant aux formes et aux modes d’expression, tout ce qu’il trouve dans la nature, et parce qu’il le trouve ainsi. S’il prend la nature pour modèle, ce n’est pas parce qu’elle a fait ceci ou cela de telle façon, mais parce qu’elle l’a bien fait. Or ce bien est quelque chose de plus élevé que le réel lui-même tel qu’il s’offre à nos sens. » Et c’est en effet en poursuivant cette beauté supérieure à la réalité, en cherchant cette forme qui exprime véritablement l’idée qu’elle doit représenter, que depuis Phidias tous les grands artistes ont trouvé leurs chefs-d’œuvre.


IV

Les peintures murales que Raphaël exécuta au Vatican, dans l’église de la Pace et à la Farnésine, les admirables dessins qu’il donna pour les mosaïques de la chapelle Chigi à Santa-Maria-del-Popolo, doivent être regardés sans doute comme la partie la plus importante de son œuvre, comme le résultat du plus grand effort de son esprit. Ayant à représenter dans des dimensions considérables des sujets qui, pour quelques-uns du moins, n’avaient pas encore été traités par des peintres, l’élève du Pérugin, l’imitateur de Fra Bartolomeo et de Mantegna, le gracieux auteur des madones de Florence, appuyé sur la nature, sur l’art antique, soulevé et soutenu (même lorsqu’il n’en est pas directement préoccupé) par les grands exemples de Michel-Ange au-dessus du niveau naturel de son génie, après de courtes hésitations trouve sa route et crée un genre