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le Christ à la foule, qu’on suppose rassemblée autour du tableau. Le milieu de la composition est occupé par un ange, debout et tenant un cartel. Autant le type élevé du visage de la Vierge, l’ensemble majestueux de toute sa personne, la beauté de l’enfant, transportent l’esprit dans une région idéale, autant les expressions marquées, les gestes supplians des saints et du donataire, qui occupent le bas du tableau rappellent les misères de la réalité ; sans sortir des lois de la peinture, Raphaël a su indiquer d’une manière poétique et précise, par le choix des types et des expressions, non-seulement le sens direct de la scène, mais la différence de nature des personnages qui la composent. Ce tableau, outre sa beauté, a une importance particulière dans l’œuvre de Raphaël, en ce qu’il dénote une préoccupation très manifeste à l’égard des procédés d’exécution, et en particulier de la couleur. En 1511, Sébastien del Piombo venait d’arriver à Rome. L’étude exclusive des œuvres de Michel-Ange n’avait point encore pu modifier sa manière. Il apportait de Venise le coloris brillant de son maître Giorgione. Raphaël paraît avoir été très frappé par la vivacité et l’éclat de sa peinture, par toutes les qualités séduisantes qui distinguent l’école vénitienne. Il résolut de suivre sur son terrain le peintre qu’on lui opposait et de transformer sa couleur, comme il avait fait son dessin. On peut contester qu’il ait réussi ; mais à partir de ce moment sa facture devint certainement plus libre et plus large, sa couleur plus brillante, et d’ailleurs l’influence très directe de Sébastien est évidente non-seulement dans la Vierge de Foligno, mais dans plusieurs des ouvrages que Raphaël fit à Rome et qui sont entièrement de sa main, entre autres la Messe de Bolsène, les portraits de Jules II de la galerie Pitti et d’Altoviti du musée de Munich, le Joueur de violon du palais Sciarra, ainsi que l’admirable figure de femme de la Tribune de Florence, dont la couleur est si éclatante qu’on l’a souvent attribuée à Giorgione[1].

C’est à la même époque, aux années 1512 ou 1513, qu’il convient de rapporter un autre des chefs-d’œuvre de Raphaël dans ce genre, la Vierge au poisson, du musée de Madrid. Ce tableau présente ces caractères d’élévation dans la pensée, de beauté des types, de force dans le coloris, que l’on remarque dans la Madone de Foligno. Je ne sais même si la disposition n’en est pas plus grande, la conception

  1. Ce portrait est daté de 1512, et Giorgione est mort en 1511. Il est certain qu’il offre une grande ressemblance avec celui peint par ce maître qui se trouve dans la galerie de Modène. Missirini pense qu’il est de Sébastien del Piombo, l’élève de Giorgione, et qu’il représente Vittoria Colonna ; mais il ne ressemble nullement au portrait de cette femme célèbre, pour le moins dessiné par Michel-Ange, et qui a été exposé à Rome au palais Colonna il y a quelques années. Je ne peux l’attribuer pour ma part à aucun autre que Raphaël, et je pense avec M. Passavant que c’est le portrait de quelque célèbre improvisatrice du temps, celui peut-être de Béatrice Ferrarese.