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femmes et des disciples est à lui seul un des prodiges les plus extraordinaires de l’art. Les divers personnages qui le composent expriment les sentimens les plus passionnés ; la douleur s’y trouve pour ainsi dire représentée sous toutes ses formes : grave et contenue chez les disciples, profonde et intime dans la belle figure de saint Jean, attendrie et mêlée de compassion chez les deux Marie, déchaînée chez Madeleine, elle arrive dans la Vierge, qui se précipite et tend les deux bras, à l’expression la plus pathétique du désespoir. Et cependant nulle part la loi suprême de l’art n’est méconnue, les mouvemens les plus violens et les plus extrêmes ne troublent pas la belle harmonie des lignes, la pantomime expressive des personnages de ce groupe ne détourne pas l’attention plus qu’il ne convient de la figure du Christ, véritable sujet du tableau, et sur laquelle se concentre l’attention. Cette figure elle-même est l’une des plus parfaites et des plus émouvantes que l’art ait produites. Insulté, maltraité, méprisé, le Christ succombe, mais sa détresse est sans abaissement : c’est celle d’un Dieu. Les angoisses morales se peignent bien plus que la douleur physique sur son noble visage, et l’intensité, la profondeur, la nature de ses souffrances marquent sa divinité. Tout est pathétique dans cette sublime figure, et la posture autant que le geste, le moindre bout de draperie aussi bien que la bouche, que les yeux, que ces traits qui traduisent le plus éloquemment les émotions de l’âme, concourent à l’impression puissante qu’elle fait éprouver.

On a dit que tous les grands peintres étaient de grands portraitistes, et si à quelques égards Raphaël est resté au-dessous des Holbein, des Van-Dyck, des Titien et des Velasquez, pour ce qui regarde l’expression de la vérité psychologique et morale il a certainement égalé les peintres qui sont les maîtres en ce genre. Il suffirait de cette tête de Christ pour s’en convaincre. Mais que l’on parcoure les portraits qu’il a exécutés presque depuis le commencement jusqu’à la fin de sa carrière, depuis ceux de Maddalena et d’Agnolo Doni de la galerie Pitti jusqu’à l’admirable Joueur de violon du palais Sciarra, à la Fornarine de la Tribune, à l’Altoviti de Munich, au Castiglione du Louvre, enfin à son chef-d’œuvre dans cet ordre de sujets, le Léon X avec les deux cardinaux de Florence, et on se convaincra qu’il a possédé à un degré vraiment extraordinaire cette compréhension du caractère particulier de chaque individu, de sa nature personnelle, de sa vie intérieure, de son âme. L’œuvre de Raphaël est si varié, si immense, que l’on passe facilement sur quelques-uns de ses travaux qui eussent suffi à illustrer d’autres que lui ; mais cette souplesse de talent est un des traits de sa nature privilégiée, et il ne faut pas oublier que l’auteur de l’École d Athènes et des cartons d’Hampton-Court a traité avec sa supériorité ordinaire