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les sujets de toute sorte dont il s’est occupé, que c’est au même artiste qui créa tant de figures sublimes que nous devons tant de paysages gracieux ou sévères, depuis celui du petit Saint Géorgie jusqu’à ceux des cartons et du Spasimo, qu’il a mis comme fonds dans la plupart de ses tableaux.

Raphaël exécuta pendant les deux dernières années de sa vie trois ouvrages qui, par leur importance et par leur perfection, résument sa peinture de chevalet dans ce qu’elle a de plus puissant et de plus élevé. Je veux parler de la Vierge de François Ier, au musée du Louvre, de la Madone de saint Sixte de la galerie de Dresde, et de la Transfiguration, que la mort l’empêcha d’achever. La Vierge du musée du Louvre a longtemps passé pour un présent fait par l’artiste au roi de France dans des circonstances assez romanesques pour mériter d’être rapportées. Raphaël, disait-on, ayant envoyé à François Ier le grand Saint Michel du Louvre, le prince le paya à l’Urbinate d’une manière si libérale, que celui-ci, luttant de générosité avec le roi, le pria d’accepter ce tableau à titre d’hommage. Cette anecdote, racontée par Pierre Dan, et qui est devenue pour ainsi dire historique, n’avait rien d’invraisemblable, et ne contredisait pas ce que l’on connaît des habitudes du peintre et de celles du roi. Il y faut cependant renoncer, car la correspondance de Goro Gheri avec Baldassar Turini[1], publiée par le docteur Gaye, prouve de la manière la plus péremptoire que cette Sainte Famille fut commandée à Raphaël, ainsi que le Saint Michel, par Lorenzo de Médicis, alors en France à l’occasion de son mariage avec Madeleine, fille de Jean de La Tour-d’Auvergne, et que ces deux tableaux, destinés l’un et l’autre par ce prince à être offerts à François Ier, furent exécutés et expédiés simultanément. On sait même qu’en date du 19 juin 1519 ils étaient partis par la voie de terre, suivant le désir du duc, et adressés aux banquiers Barthalini de Lyon. La Vierge de François Ier passe avec raison pour l’ouvrage le plus parfait de Raphaël dans ce genre. Il est impossible en effet d’imaginer une composition plus riche, plus pleine, plus heureuse, des types plus purs et plus variés, une exécution plus irréprochable, plus soutenue, plus soignée dans les moindres détails. Quelques-unes des parties de ce tableau, entre autres les draperies du bras et de la jambe gauche de la Vierge, sont parmi les choses les plus magistrales que Raphaël ait faites. Il travaillait pour le roi de France, et on voit qu’il s’en est souvenu. C’est là une de ces œuvres où l’étude fait sans cesse découvrir de nouvelles beautés, et quoique

  1. Président de la chancellerie romaine datario, très lié avec Raphaël et l’un de ses exécuteurs testamentaires.