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faute de quoi le propriétaire ferait une mauvaise spéculation en les laissant sur pied une année de plus. Ainsi, adoptant dans toute sa rigueur l’opinion du poète anglais :

The value of a thing,
Is as much moncy as’t bring,


un particulier ne trouvera jamais avantage à cultiver des futaies, et sera fatalement poussé à détruire celles qu’il pourrait posséder, parce qu’il trouvera toujours pour le capital qu’elles représentent un placement plus avantageux. Il sera d’autant plus sollicité à cette opération que le prix des bois sera plus élevé, car l’importance du capital augmente en même temps que ce prix. Les propriétaires de bois se trouvent donc dans les mêmes conditions que ceux de l’agro romano, dont parle Sismondi, qui, tout compte fait, trouvent du bénéfice à se contenter du mince revenu de leurs pâturages, plutôt qu’à leur faire produire, à force de capitaux, du froment et des betteraves. Sous des formes diverses, c’est toujours la grande question du produit net et du produit brut, si digne à tous égards de l’attention des économistes.

La règle que nous venons de poser n’est cependant pas absolue, et sans parler des considérations de plaisir et d’agrément, suffisantes bien souvent, aux yeux du propriétaire, pour lui faire différer l’exploitation de ses bois, son intérêt bien entendu commande souvent d’y déroger. Se trouve-t-il au lendemain d’une révolution, comme celle de 1848 par exemple, au moment où les maîtres de forges, inquiets de l’avenir, ont éteint leurs fourneaux, où l’industrie du bâtiment a suspendu ses constructions, où les armateurs ont abandonné sur leurs chantiers les navires inachevés : que fera-t-il du produit de ses forêts ? Privé de débouchés, il ne peut s’en défaire qu’à des prix avilis, et s’il se décidait à vendre malgré cette dépréciation, il ne trouverait dans les entreprises industrielles ou commerciales du jour qu’un placement des plus aléatoires pour ses capitaux. Dans ces conditions, il est évidemment de son intérêt de laisser ses bois sur pied et d’attendre une heure plus favorable pour s’en défaire. Les arbres, continuant à croître et à végéter, lui donneront, quand les affaires auront repris quelque vigueur, un bénéfice qu’aucune autre spéculation n’aurait pu fournir avec la même sécurité. C’est ainsi qu’agira celui à qui ses ressources personnelles permettent d’attendre des temps meilleurs ; quant aux autres, ils vendront leurs bois, à quelque prix que ce soit, pour faire face aux exigences de leur position. S’agit-il au contraire d’un maître de forges pressé par des commandes : s’il lui faut 100,000 stères de bois pour faire marcher ses usines et s’il n’a pu s’en procurer que 50,000 dans le commerce, il faudra bien qu’il trouve le surplus