Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/750

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

torieux et modérés, de calmer les craintes des uns et d’obtenir la docilité des autres. Avec quels sentimens veut-on que nous assistions aux événemens issus de nos propres actes, dans lesquels notre initiative nous crée une responsabilité inévitable, et dont il nous est impossible d’entrevoir le résultat positif et le terme ? C’est en vain qu’on nous dirait, au nom d’un formalisme creux, que nous ne sommes pas attachés par des obligations positives à ces événemens : nous y sommes enchaînés par une multitude d’obligations morales. Rien mieux que ce qui se passe en Italie à l’heure qu’il est, rien mieux que l’expédition de Garibaldi et les récens débats du parlement sarde ne peut donner une idée saisissante des compromissions auxquelles nous demeurons suspendus. Notre avis, à nous, a été de couper court, dès que nous l’avons jugé possible, à ces compromissions, et nous n’aurions pas cru que la France eût fait un mauvais marché, si, pour obtenir ce résultat, elle eût renoncé aux cessions territoriales qu’elle avait le droit de demander au Piémont. Plus la France eût été désintéressée, plus elle serait demeurée maîtresse de mesurer ses sacrifices à venir, et plus elle eût conservé d’autorité sur l’Italie. N’ayant rien demandé pour elle, elle eût pu retarder et modérer le mouvement unitaire italien. Le gouvernement de Victor-Emmanuel, n’ayant rien eu à concéder à une puissance étrangère, eût gardé plus de force pour contenir la révolution italienne. Les discours prononcés au parlement sarde prouvent que nous ne nous étions point trompés. Tous les orateurs, les uns exploitant une tactique, les autres cédant à l’impulsion d’un sentiment instinctif, ont exagéré la douleur que leur cause la cession de la Savoie et du comté de Nice pour exagérer par contre les droits que l’Italie pense avoir aux secours de la France, lorsque s’engagera avec l’Autriche la lutte, annoncée comme inévitable, dont l’affranchissement de Venise doit être le prix.

Cette discussion est le commentaire de l’entreprise de Garibaldi en Sicile, et reçoit de cette entreprise elle-même une frappante lumière. Il est possible, et sa lettre à Victor-Emmanuel permet de le croire, que l’abandon de Nice n’ait pas été sans influence sur la résolution de Garibaldi, et que le parti unitaire ait jugé que pour se mettre immédiatement à l’œuvre, l’occasion était unique ; mais il importe plus encore de saisir les mobiles qui ont guidé le gouvernement piémontais en cette circonstance. Pour avoir toléré l’organisation et le départ de l’expédition de Garibaldi, quelle excuse M. de Cavour a-t-il alléguée ? Sa faiblesse en face de la révolution, son impuissance contre le mouvement unitaire. Nous avons été obligés de trouver l’excuse bonne ; mais, nous le demandons, sans le traité de cession, M. de Cavour, lui qui s’est fait un nom parmi les hommes d’état de l’Europe, lui qui, au sentiment de sa dignité personnelle, doit joindre le sentiment de la dignité d’un gouvernement et d’un peuple civilisés, n’eût-il pas rougi de donner une pareille excuse ? Nous-mêmes, si elle nous eût été présentée, ne l’eussions-nous pas traitée comme une impertinence ? C’est ainsi que tout se