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exclusivement, pendant un certain nombre d’années. Le philanthrope, le citoyen, l’homme politique, le gouvernement dont s’emparera cette idée, tremblant d’en compromettre le succès, écarteront par toutes les précautions possibles les élémens qui pourraient troubler et faire avorter l’expérience. Ils rapporteront tout à cette œuvre jusqu’à ce qu’elle ait réussi. La première condition à remplir, c’est évidemment d’assurer à l’expérience une période de paix, c’est d’assurer, pendant qu’elle se poursuit, une pleine confiance et une entière sécurité au sein des classes industrielles, commerçantes et financières. Ni M. Huskisson, ni sir Robert Peel, n’auraient osé mettre la main à l’œuvre dans un temps de trouble européen, où la crainte des événemens extérieurs eût paralysé l’esprit et les ressources des capitalistes et des commerçans anglais. Le succès de leurs grandes réformes économiques eût été impossible, s’il ne leur avait été donné de les accomplir dans un temps de profonde paix et de confiance générale. Notre gouvernement a déjà montré une excessive hardiesse en essayant d’opérer la réforme économique autrement que par les progrès de l’éducation des esprits, l’influence des discussions et la conviction éclairée des intérêts. Il a procédé par un coup d’autorité, et il a singulièrement accru par là sa responsabilité et les difficultés de sa tâche. Au moins devait-on souhaiter que la politique étrangère ne fît pas diversion à l’expérience tentée. Pour que la réforme réussisse, il faut que la consommation puisse avoir toute son élasticité, que la production applique toutes ses forces, que la spéculation donne toute son ardeur, et le souffle vivifiant de ces grands agens économiques, c’est la confiance. Que si ce travail est troublé par un défaut de sécurité, non-seulement des résultats malheureux ou incomplets ajouteront de nouveaux sujets d’inquiétude à ceux qui les auront causés, non-seulement un grand progrès aura été manqué, une grande idée sera frappée d’une injuste défaveur ; mais des difficultés d’un autre ordre viendront compliquer la situation politique et aggraver la défiance du public. Les finances, le budget de l’état, sont liés au sort de la réforme commerciale. L’échec de la réforme entraînerait un déficit dans le revenu. De là une mauvaise situation de trésorerie, des perspectives d’emprunt, la nécessité de rétablir les anciennes taxes, la difficulté de créer des impôts nouveaux, et au total un redoublement d’inquiétudes. Voilà quelles peuvent être les graves conséquences de ces inquiétudes qu’a signalées M. le ministre d’état.

Ces inquiétudes, nous avons vu qu’il n’avait pas été au pouvoir des partis de les faire naître ; le gouvernement seul peut les calmer. L’acte même du traité de commerce n’a point suffi à les dissiper. Qu’on en juge par l’état de l’opinion publique en Angleterre : si l’opinion anglaise, qui pourtant avait d’abord reçu le traité avec tant de faveur, se montre si peu rassurée, est-il surprenant que ce traité n’ait pas exercé une plus heureuse influence sur l’opinion française ? Nous croyons avoir rempli un devoir de bons citoyens en nous emparant de la parole d’un ministre pour signaler avec force une