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des idées. Un rondo capricioso, de Mendelssohn, a été exécuté par M. Ritter, qui est un pianiste d’un très grand talent, avec une vigueur, une netteté qui n’excluent pas la grâce. Quand M. Sivori se contente de jouer la musique des maîtres, il est l’un des plus brillans virtuoses de ce temps-ci ; il perd une grande partie de ses avantages quand il s’abandonne à ses propres inspirations, qui ne se recommandent ni par le style, ni par l’originalité des idées.

Dans cette même salle Beethoven, où M. Sivori a donné ses quatre soirées, un pianiste d’un vrai mérite, d’un goût difficile et rare, M. Mortier de Fontaine, a donné, avec le concours de MM. Maurin et Chevillard, quelques séances de musique de chambre qui ont été remarquées. Élève du Conservatoire de Paris, établi à Saint-Pétersbourg depuis un certain nombre d’années, M. Mortier de Fontaine est un pianiste de la vieille roche, dont le jeu placide et le toucher élégant doivent rappeler la manière de Hummel.

Dans la série des concerts isolés donnés par de grandes individualités, par des virtuoses dignes de cette qualification si prodiguée de nos jours, il nous faut parler tout d’abord de Mme Pleyel, artiste d’un ordre supérieur. Cette femme célèbre, qui a parcouru au moins une partie de l’Europe, a voulu essayer sur le public, qu’elle n’avait point approché depuis une dizaine d’années, quelle pouvait être encore sa puissance de séduction. Mme Pleyel a dû être contente de l’épreuve. L’assemblée nombreuse et distinguée qui était accourue à son appel a su apprécier les rares qualités d’une exécution qui réunit la force à la délicatesse, le fini dans les détails à l’unité de conception, sans laquelle on n’est pas digne d’interpréter les vrais chefs-d’œuvre des maîtres. Au premier concert que Mme Pleyel, a donné dans les salons de l’hôtel du Louvre le 8 mars, elle a exécuté le concerto de Mendelssohn pour piano et grand orchestre avec une maestria, tempérée par la grâce, qui a excité la plus vive et la plus juste admiration. Nous avons été moins édifié de certains morceaux de musique à la mode que Mme Pleyel a cru devoir placer sur ses programmes. Les femmes les plus éminentes ne peuvent s’empêcher d’avoir quelques faiblesses pour les grandeurs du jour et les œuvres fugitives. M. Acher, par exemple, méritait-il l’honneur que lui a fait Mme Pleyel en exécutant une de ses improvisations méditées ? J’aimerais autant croire à la musique de M. Prudent. Quoi qu’il en soit, Mme Pleyel est une artiste comme il y en a peu, et sa place dans l’art est bien facile à indiquer : elle est la première pianiste de son temps.

M. Hans de Bulow, qui, l’année dernière, était venu à Paris pour préparer les voies à M. Richard Wagner, dont il s’est fait le saint Jean-Baptiste, a donné cette année encore quatre soirées qui n’ont pas excité un bien vif intérêt. M. Hans de Bulow est un esprit peu étendu, un de ces fanatiques importuns comme il y en a dans toutes les petites églises que repousse le monde éclairé. Nous avons laissé M. Hans de Bulow jouer tout à son aise les divagations de M. Liszt, son beau-père, et faire de la propagande en faveur de la musique de l’avenir. Notre siège est fait, et M. Hans de Bulow n’a pas assez d’initiative dans l’esprit ni assez de puissance affective pour faire un grand nombre de prosélytes à une détestable cause. Nous en dirons à peu près autant de M. Alfred Jaell, pianiste d’un vrai talent, mais élève de M. Liszt, qui lui a imposé le lourd fardeau d’exécuter ses œuvres. Dans un