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Amor che nella mente mi raggiona,
Cominciò egli allor si dolco mente
Che la dolcezza ancor dentro mi risuona[1].

On pense bien que je ne me suis pas fait prier pour aller entendre le Casella moderne, qui d’ailleurs m’avait écrit une lettre en très bon et pur toscan. M. Casella est un artiste de talent qui chante sur son violoncelle peut-être un peu mieux que le musicien du XIIIe siècle, le maître de musique du grand poète florentin, ne chantait de sa voix un de ces laudi spirituali qui se sont conservés jusqu’à nos jours. Il est à désirer que M. Casella, qui vit dans la seconde moitié du XIXe siècle, ait une ambition digne de son temps et du nom qu’il porte.

Après bon nombre de soirées intéressantes données par des artistes honorables et modestes tels que MM. Sauzay, de Cuvillon, Bessems, Franco Mendès, etc., artistes d’un goût sûr qui rendent à l’art des services bien autrement utiles que les faiseurs de contredanses et les compositeurs de cabalettes, la saison des concerts a été close par une grande séance de musique historique qui doit se renouveler tous les ans, conformément aux vœux de M. de Beaulieu. Ancien élève de Méhul, correspondant de l’Institut, M. de Beaulieu, qui a déjà fondé l’association musicale de l’ouest, qu’il dirige depuis trente ans, a eu la pensée généreuse de distraire de sa succession la somme de 100,000 francs, dont le revenu servira à faire les frais d’un grand concert annuel où l’on n’exécutera que de la musique ancienne et peu connue. Dans la séance d’inauguration, qui a eu lieu cette année-ci dans la salle Herz sous la direction de M. Seeghers pour l’orchestre et de M. Marié pour les chœurs, on a fait entendre des fragmens du Messie de Haendel, un madrigal à quatre voix, le Croisé captif, de Gibbon, compositeur anglais de la fin du XVIe siècle, un Jésus dulcis, motet de Vittoria, et des fragmens d’Elie, oratorio de Mendelssohn. L’exécution a laissé nécessairement à désirer, car le temps a manqué pour l’étude d’une musique difficile qui exige un orchestre et des masses chorales bien disciplinés. Il y a tout lieu d’espérer que l’année prochaine M. de Beaulieu sera en mesure d’apporter plus de soins à la réalisation d’une idée qui peut devenir féconde en bons résultats. De tous les genres, le plus difficile, le plus noble et le plus délaissé en France aussi bien que dans les autres parties de l’Europe, excepté en Angleterre

  1. Voici comment M. Ratisbonne a traduit ces tercets :
    Mon Casella, je fais aujourd’hui ce voyage
    Pour retourner plus tard sur ce même rivage.
    Mais toi, pourquoi viens-tu si tard après ta mort ?
    … Si quelque loi sur ce nouveau rivage
    Ne t’a pas enlevé la mémoire ou l’usage
    De ce chant amoureux qui calmait tous mes maux,
    Donne à mon cœur, de grâce, un peu de ton doux baume.
    Ce voyage accompli par le sombre royaume
    Avec mon corps vivant m’a brisé de douleur.
    Amour qui parle au fond de ma pauvre âme esclave,
    Se prit l’ombre à chanter d’une voix si suave,
    Que sa douceur encor résonne dans mon cœur…