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montagnard en fourrure d’agneau, avec fond en drap de la couleur du collet de l’uniforme.

Comme le soldat français, le soldat russe a un goût décidé pour le combat à la baïonnette, et cette préférence se conserve toujours malgré l’introduction des armes de précision. Les escarmouches de tirailleurs sont devenues du reste une école qui a produit des hommes capables de rivaliser pour la justesse du coup d’œil avec ceux de leurs ennemis les plus exercés. Les Russes ont adopté avec grand avantage les armes des montagnards, tandis que ceux-ci sont restés dans un état de très grande infériorité pour le maniement du canon. L’artillerie est en effet, comme le remarque M. de Gilles, une arme d’une action tellement sérieuse, d’un emploi si savant, qu’il n’est pas étonnant que des peuples barbares n’aient pu s’en rendre maîtres. Jusqu’en 1841, ils en furent dépourvus ; à cette époque, Schamyl l’introduisit parmi eux. Ce ne fut pas sans peine, car il rencontra d’abord une vive opposition dans le grand conseil ou divan, qui repoussait cette innovation comme un emprunt funeste fait aux infidèles. Il y avait dans les montagnes une vieille pièce de six ; il la fit mettre en état, en organisa le service et marcha contre les Tcharbely, peuplade de la Haute-Tchetchenia qui refusait d’abdiquer son indépendance. L’aoûl principal, fort de ses moyens de défense et de ses tours en pierre, résista ; mais quelques coups de cette pièce, d’ailleurs inoffensive, terrifièrent tellement les assiégés, qu’ils ouvrirent leurs portes. L’aoûl fut traité comme un repaire de giaours ; tous les anciens furent mis à mort et leurs biens confisqués. Dans la suite, Schamyl augmenta son artillerie de pièces qu’il enleva à ses ennemis ; mais, quoique bien attelée, très mobile et tirant avec assez de célérité, elle ne fit jamais grand mal. L’imâm, craignant de la perdre, rendit ses naïbs responsables sur leur tête de la pièce qui était confiée à chacun d’eux. Ceux-ci tiraient en conséquence à des distances de sept cents sagènes (1,500 mètres environ), jamais à portée de mitraille ; à la première tentative des Russes pour enlever le canon, le naïb se retirait pour reparaître, au bout d’un quart d’heure, sur un autre point et recommencer son tir incertain. Il y a plus, l’auteur des Lettres sur le Caucase et la Crimée estime que l’emploi de l’artillerie a eu en définitive une influence fâcheuse sur l’esprit guerrier des Tchetchenses. Ignorant le maniement d’une machine de guerre aussi puissante, et craignant d’être tués eux-mêmes en la faisant jouer, ils ont fini par s’habituer à se tenir à distance ; ils ont renoncé à la lutte corps à corps, où ils étaient supérieurs, et ces charges vigoureuses qui les précipitaient comme une trombe jusque sur les baïonnette russes sont devenues de plus en plus rares.

Jeté au milieu de ces contrées inhospitalières, où il lui faut combattre