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mitigée du schisme, à celle qui admet, comme cette église, l’institution du sacerdoce (popovstchina), et qui a les mêmes sacremens. Dans les efforts tentés par le gouvernement pour ramener cette fraction des dissidens, il est allé jusqu’à donner une sorte de consécration légale à leur culte, à les reconnaître comme professant une foi identique à la sienne ; il les désigne sous le nom d’iedinovertsi (conformistes). Les autres, parti radical très avancé et fortement organisé, rejettent toute hiérarchie ecclésiastique (bezpopovstchina). À côté d’eux, mais sur une pente encore plus prononcée, sont des sectaires de la pire espèce, les malakany (mangeurs de lait ou abstinens), les doukhobortsy (lutteurs.de l’esprit), les skoptsy (mutilés), etc., qui, ne reconnaissant d’autre autorité dogmatique que celle qui découle de leur propre inspiration, d’autre suprématie politique que celle que leur enseigne leur volonté particulière, professent des doctrines vagues et mal définies, mais d’une opposition très arrêtée contre les lois de la morale et les institutions de leur patrie. Un auteur anonyme qui a essayé de sonder cette plaie du schisme russe rapporte qu’à l’époque de la guerre de Crimée on les a vus, parjures envers leurs ancêtres, qui avaient, sous Pierre le Grand, repoussé si vigoureusement les Suédois prêts à se joindre aux bandes de Mazeppa, applaudir aux revers de leurs compatriotes avec des explosions d’allégresse, et célébrer comme des événemens heureux les échecs subis par les défenseurs de Sébastopol[1].

Des groupes de ces sectaires ont été internés dans la Transcaucasie, où ils cultivent les terres que le gouvernement leur a concédées. M. de Gilles, qui a rencontré sur sa route, dans l’ancien pachalik d’Akhaltzikh, plusieurs de leurs colonies, affirme que les maisons y ont un aspect de propreté, d’aisance et de calme intérieur, et les habitans, presque tous voituriers, un air placide et inoffensif qui leur donne l’apparence d’une association de quakers. Ce serait là l’indice d’une amélioration morale auquel on se laisserait prendre volontiers, si l’on pouvait oublier l’extrême habileté des sectaires à se dissimuler à tout regard étranger et suspect. D’ailleurs l’auteur des Lettres sur le Caucase n’avait ni le temps ni la volonté de les observer de près, et lui-même confesse ingénument n’avoir aucune notion de leurs

  1. Le Raskol, essai historique et critique sur les sectes religieuses en Russie, Paris 1858. Dans ce curieux ouvrage, ou le voile de l’anonyme cache un écrivain parfaitement renseigné, dont la nationalité russe n’est pas douteuse, on trouve des détails sur la vaste organisation des starovères, sur les deux grands hôpitaux qu’ils ont fondés a Moscou, et qu’ils ont fait inscrire sur les registres de la police sous le nom de cimetières : l’un, appelé Ragotskii, appartient aux popovtsy, et l’autre, Préobajenskii, aux bezpopovtsy. M. de Haxthausen, qui a visité ce dernier, en a décrit les proportions immenses et le régime intérieur, approprié au traitement de plus de deux mille malades, sans compter les mendians qui viennent y recevoir journellement leur nourriture.