Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la fatalité qu’elle proclame. Non, le muridisme n’est pas éteint dans les profondeurs de ces montagnes ; le souvenir de l’imâm Schamyl vit encore parmi des populations qui lui étaient dévouées jusqu’à la mort. Si la surveillance s’endormait un instant, l’étincelle qui couve dans le foyer encore fumant se ranimerait tout à coup ; à Schamyl dans les fers, comme à Kazy-Moulla tombé en héros et en martyr au milieu des murs en flammes et croulans de Himry, succéderaient de nouveaux apôtres dont la voix inspirée et puissante réveillerait les échos assoupis du Daghestan. Ces sentimens, ces aspirations, cette foi ne s’évanouissent pas en un jour. La domination russe ne sera solidement assise dans ces lieux que du jour où elle les aura enveloppés de toutes parts du réseau de ses lignes stratégiques, et que dans toutes les directions des routes propres aux rapides et faciles évolutions de l’armée auront été ouvertes. Alors, après l’œuvre violente de la conquête, commencera l’œuvre plus lente, mais bien plus efficace, de la pacification. Elle s’opérera à la longue, si la Russie emploie vis-à-vis des montagnards cette condescendance persuasive et ingénieuse qui lui permet d’assouplir et de gagner à elle les races asiatiques. L’habitant du flanc droit, jadis chrétien au temps des empereurs de Byzance, et conservant de vagues réminiscences de sa foi primitive, serait peut-être accessible de nouveau aux enseignemens de l’Évangile, si le clergé avait jamais le moindre souci de les lui faire entendre[1], tandis que le Lesghi, zélé musulman, ne se laissera jamais convaincre, et sa foi devra être respectée ; mais ils s’accoutumeront insensiblement l’un et l’autre à obéir à une force qui leur apparaîtra morale, juste et tutélaire. Les Orientaux sont de grands enfans dont il faut savoir se faire craindre et aimer tout à la fois. L’appât du lucre et l’espoir d’acquérir des richesses sont un moyen d’attraction très puissant sur eux, et le Caucase, par le développement du commerce et de l’agriculture, peut donner ample carrière à la satisfaction de ces instincts. Il est fertile en produits bruts des climats tempérés, et se prête admirablement à la culture des plantes tropicales, comme l’indigo et le coton. Il est riche en bestiaux, laine, suif, cire, soie, etc. Sa situation entre deux mers et deux continens en fait la route naturelle du transit entre l’Europe et l’Asie. La première mesure à prendre est l’abolition du tarif des douanes de 1831, qui a anéanti le commerce dans ces contrées en supprimant tous les rapports avec l’Europe ; Ces relations, qui y répandaient la prospérité et la vie il y a une quarantaine d’années, ont pris une voie plus méridionale. C’est par Trébisonde et le steppe

  1. Il est constant que l’église orthodoxe n’a eu jusqu’à présent aucune action sur les montagnards comme propagande religieuse, et n’a tenté aucun effort pour les ramener. La seule doctrine qui ait fait des progrès au Caucase dans ces derniers temps est l’islamisme.