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dans la campagne de la saison suivante. Le chef de l’expédition pouvait bien concevoir quelques craintes, mais il devait dissimuler toute inquiétude et s’appliquer à employer de son mieux cet hiver inutile. C’était la persistance des vents du sud-est qui, durant septembre, avait maintenu le main-pack dans les hautes régions de la mer de Baffin et intercepté la route habituelle ; octobre amena les terribles souffles du nord-ouest, qui viennent droit du pôle. Ceux-ci rompaient la masse compacte du glacier, et semblaient vouloir y ouvrir des chemins ; mais en même temps ils avaient abaissé la température au point que l’eau, aussitôt en contact avec l’atmosphère, se mettait à geler. Cette glace nouvelle, unie, pas encore chargée de neige, tranchait d’une façon bien distincte avec la vieille couche épaisse et rugueuse du glacier. La chasse et la pêche au requin apportaient quelques distractions et fournissaient de précieuses ressources à l’hivernage. On prenait une espèce de requin à grosse tête, très vorace, et recherché sur la côte groënlandaise pour la quantité d’huile que son foie contient, en suspendant une amorce à des trous pratiqués dans la glace. Le contact du glacier avec les terres amenait des ours blancs, quelques renards bleus et blancs, beaucoup de phoques, dont la chair servait à la nourriture des chiens.

Le bâtiment était engagé dans les bords épais et solides du glacier, tranquille comme dans un port, protégé par des montagnes de glace contre des chocs et des commotions auxquels ne résisterait aucune construction humaine. Sous son vêtement de neige, il ne se détachait que par sa mâture du fond blanchâtre dont il était entouré. Les cristaux de cette neige polaire ont quelquefois jusqu’à un pouce de largeur, avec une forme étoilée à six pointes dont les reflets produisent des effets magiques sous les clairs de lune splendides de ce climat. Pour essayer de rompre la monotonie d’une existence dont tous les jours étaient uniformément pareils, on institua à bord, sous la direction du chirurgien du Fox, le docteur Walker, une école où l’on enseignait aux matelots l’usage des divers instrumens dont les officiers se servaient pour leurs expériences et leurs observations scientifiques.

La clarté de la lune, augmentée de celle des étoiles, multipliée par les reflets de la neige et des glaciers, remplaçait alors celle du soleil, qui s’était montré pour la dernière fois le 1er novembre. Une nuit que l’équipage vaquait à ses paisibles occupations, le cri « aux armes ! » retentit soudainement. En un moment, tous les hommes furent debout et s’élancèrent sur la glace. C’était un ours blanc qui venait, à ses risques et périls, apporter des émotions aux marins et animer pendant quelques instans leur solitude. À la faveur de la neige,