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il avait pu s’approcher, sans être vu, jusqu’à 25 mètres du bâtiment ; là, le quartier-maître avait distingué sa forme indécise, et c’était lui qui d’un cri avait mis l’équipage en éveil. Les hommes s’étaient donc élancés le fusil à la main, se dirigeant avec précaution, car autour du bâtiment la glace était encore récente et fragile ; au milieu d’une atmosphère à demi éclairée par la lune et à demi éteinte par le brouillard, ils apparaissaient comme des ombres. La lutte était déjà engagée entre la bête et les chiens. En voulant opérer sa retraite, l’ours s’était enfoncé dans la glace ; malgré l’embarras de sa position, il se défendait, vaillamment, et les chiens n’en auraient pas eu raison sans une grêle de coups de feu qui l’abattirent. Il avait un peu plus de sept pieds de long. On en voit de beaucoup plus considérables ; il en fut tué deux par la suite, qui avaient jusqu’à huit pieds six pouces. Ces ours des pôles font sur la glace des trajets immenses ; on les rencontre quelquefois à plus de cent cinquante milles des terres ; ils passent en nageant d’un glaçon à l’autre, le nez sur la piste des phoques, leur proie habituelle ; ils se dirigent instinctivement à l’encontre des vents du nord pour retrouver la terre ou une glace plus solide. Pour saisir leur proie, ils s’accroupissent sur leurs pattes de devant, avancent lentement et sans secousse à l’aide de leurs pattes de derrière, confondus par leur couleur avec la neige et les glaçons, et c’est seulement à quelques mètres qu’ils s’élancent sur l’animal dont ils veulent se saisir. Au Groenland, leur chair est très recherchée ; jamais on ne les a vus s’attaquer à l’homme sans provocation. Quand l’ours est en chasse, il traîne généralement à sa suite un certain nombre de renards qui, dans la saison où le gibier qu’ils poursuivent s’est enfui vers le sud, s’attachent à l’ours pour vivre des débris de ses repas.

Quelques jours après cette chasse heureuse, par une belle nuit illuminée d’un vaste clair de lune, l’équipage obtenait la permission de se distraire en célébrant une des fêtes chères au matelot anglais ; il s’agissait de brûler en effigie Guy Fawkes, le méchant génie qui trompe et perd les vaisseaux. Après avoir fait honneur à une ration extraordinaire de grog et de plum-pudding, les matelots, le visage barbouillé de noir, vêtus de costumes extravagans, secouant de grandes torches et poussant des cris sauvages auxquels les chiens mêlaient leurs hurlemens, s’en allèrent en procession faire le tour du bâtiment sur la glace, se livrer à des pratiques et à des jeux bizarres, puis dresser un bûcher pour brûler l’image du traître. On célébra aussi la prise du cinquantième phoque en attendant Noël et le nouvel an, qui devaient à leur tour amener quelque sujet de distraction, et qui allaient être les bienvenus, surtout à titre d’avant-coureurs de la saison qui devait dégager le bâtiment. Pendant que