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de leur joie par des danses et des gestes sauvages, et huit d’entre eux montèrent à bord. Leurs longs cheveux raides et noirs pendaient sur leurs épaules recouvertes de peaux de phoques ; ils portaient des espèces de bottes et d’épais pantalons de peaux d’ours, le poil en dehors. Leur physionomie n’était pas sans bienveillance malgré de petits yeux un peu farouches. La plupart tenaient à la main une sorte d’arme faite d’une défense de narval. Quelques-uns connaissaient l’interprète danois, M. Petersen, qu’ils avaient vu lors de l’expédition du docteur Kane ; on renoua bien vite amitié, et ces bons Esquimaux s’enquirent avec émotion de quelques-uns de leurs compatriotes des régions plus méridionales du Groenland, dont ils sont séparés par plusieurs centaines de milles couverts d’infranchissables glaciers. Parmi eux se trouvait le beau-frère d’un naturel qui en 1851 avait visité volontairement l’Angleterre ; c’était un angekok, personnage important, sorte de magicien qui a des charmes pour guérir les maladies et pour conjurer les tempêtes. Il y avait aussi dans cette petite troupe un vieillard robuste, portant sur la face quelques poils en forme de barbe et de moustache, et d’une physionomie plus sombre que ses compagnons. Celui-là s’était rendu coupable d’un crime extrêmement rare chez les Esquimaux : c’était un assassin. Il avait convoité les chiens d’un homme qui, de plus, était son ennemi personnel, et, pour assouvir à la fois sa vengeance et sa cupidité, il l’avait tué. M. Petersen, qui raconte ce fait, ne dit pas s’il y eut une pénalité pour son crime. Une distribution d’aiguilles et de couteaux fut faite à ces pauvres gens, et on eut soin de leur dire qu’ils avaient mérité ces présens par la bienveillance avec laquelle ils avaient traité les hommes blancs quand le docteur Kane et son équipage avaient été contraints de séjourner parmi eux.

Deux ou trois jours d’un retard occasionné par des vents contraires furent mis à profit pour jeter un coup d’œil sur cette terre lointaine. On était au commencement de juillet ; c’était le moment de la chaleur et des jours qui ne finissent pas ; la terre s’était débarrassée de sa froide enveloppe ; la glace se heurtait en fragmens détachés le long du rivage, la neige ne couvrait plus que les hauteurs, et de la cime des falaises on entrevoyait au large les immenses champs de glace du main-pack lentement entraînés à la dérive. Le sol était tapissé d’un épais gazon, spectacle étrange dans ce pays des frimas, et les larges assises de roches primitives qui de la mer s’étendent dans les solitudes de l’intérieur montraient leurs flancs couverts d’une végétation vraiment étonnante à cette haute latitude. Une espèce de pigeon, un petit palmipède appelé auk ou rotchie, l’oiseau de proie auquel les marins hollandais donnent le nom de bourgmestre, parce qu’il opprime ses voisins et s’approprie