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Back ou du Grand-Poisson, qui coule du sud au nord dans les régions les plus froides et les plus désolées de l’Amérique du Nord. Les traces de Franklin devaient, d’après les indications déjà recueillies, être cherchées de ce côté. Le vent, aidé de la vapeur, porta rapidement le yacht le long de la côte orientale de North-Sommerset, jusqu’au détroit auquel le capitaine Kennedy a donné en 1851 le nom de Bellot. C’est un bras de mer assez semblable aux fiords groënlandais, étroits et profonds : il n’a qu’un mille de largeur sur vingt de long, et la sonde y descend jusqu’à quatre cents pieds. Ses bords de granit, coupés à pic, se dressent à quinze et seize cents pieds au-dessus de la mer. Les marées y montent avec une grande rapidité, et un fort courant s’y dirige de l’ouest à l’est. Il était alors obstrué par des glaces flottantes ; on le franchit, non sans quelque peine, et le navire alla s’installer sur le bord supérieur de son entrée occidentale, dans une espèce de port fermé par des rochers, protégé par des bancs de glace, où il devait prendre ses quartiers d’hiver.

Cette seconde saison d’immobilité pour le navire ne devait pas s’écouler dans une inaction stérile ; au contraire, elle allait préparer à l’expédition ses plus précieux résultats. Il fut en effet décidé que trois vastes reconnaissances en traîneaux, sous les ordres de Mac-Clintock et de ses lieutenans, Hobson et Young, seraient dirigées sur la glace, dès le commencement du printemps, la première à la rivière du Grand-Poisson et à l’île du Roi-Guillaume, la seconde sur la côte occidentale de Boothia, depuis le détroit de Bellot jusqu’au pôle magnétique, c’est-à-dire du 72e au 70e degré de latitude environ, la troisième le long des rivages de l’île du Prince-de-Galles, pour compléter sur ce point les explorations des précédens navigateurs. Deux observatoires magnétiques furent construits, l’un à 200 mètres du yacht, avec des blocs de glace rectangulaires qui ressemblaient à distance à de magnifiques pierres de taille, l’autre en parois de neige. Plusieurs excursions préparatoires des grandes expéditions furent conduites par les lieutenans. Dans une d’elles, Hobson et les matelots qui l’accompagnaient coururent un terrible danger : après six jours d’un bon voyage le long de la côte de Boothia-Felix, ils établirent, comme de coutume, leur campement de nuit sur la glace ; la marée commençait à monter, et une forte brise du nord-est se mit à souffler du rivage. Quelle ne fut pas leur anxiété, le matin, en voyant que, sous l’effort de la marée et du vent, la glace qui les portait s’était détachée du rivage et s’en allait à la dérive ! Ils préparèrent aussitôt leurs traîneaux et leurs chiens ; mais le glaçon continuait à gagner lentement le large. Battu par les vagues, il se rompit, et il n’en resta pour les porter qu’un fragment de