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et se multiplie en efforts sans direction et sans maturité. Ce qui germe est moins le fruit d’un travail nouveau que la déperdition incohérente de la sève d’autrefois, décomposée et subtilisée à l’infini. Là aussi les branches folles poussent sur l’arbre épuisé. Entre ce monde de l’imagination et le monde physique, il y a seulement une différence notable. Chaque année, la terre retrouve son printemps ; pour elle, le déclin et la stérilité ne sont que d’un moment. Hier encore elle était dépouillée et inerte, aujourd’hui elle s’épanouit dans sa jeunesse nouvelle ; mai est revenu. Malheureusement l’imagination humaine n’a pas tous les ans son mois de mai ; elle ne connaît pas le secret de ces gracieuses résurrections d’une périodicité si fidèle. La force de création et de vie dort plus longtemps au sein de la nature morale que dans la nature visible. La terre, en retrouvant sa verdure et ses fleurs, a beau rouvrir une des sources inspiratrices de l’imagination et appeler la poésie à renaître avec elle : la poésie en est toujours à son arrière-saison d’autrefois ; elle se traîne alanguie, elle se répète et se fait écho à elle-même, et c’est pour elle surtout, dans l’ordre des choses de l’esprit, que les rajeunissemens sont lents à venir. Il n’y a que l’Académie des jeux floraux qui croie au mois de mai et qui depuis cinq siècles, à travers toutes les révolutions, s’obstine, avec une fidélité plus touchante qu’efficace, à célébrer chaque année tout ensemble la fête de la poésie perpétuellement renaissante et la fête des fleurs.

Ce que nous voyons, c’est une arrière-saison, disais-je, — une arrière-saison qui ne date ni d’aujourd’hui, ni d’hier, qui a commencé il y a quelque vingt ans, et où, à travers le mélange de toutes les influences, de tous les tons, de tous les procédés, l’inspiration première va en s’affaiblissant et en se perdant par degré. La poésie de ce siècle a eu assurément son glorieux printemps dans ces années d’heureuse audace et de féconde rénovation qui virent jaillir presque à la fois les Méditations et les Harmonies avec leur puissance d’épanchement lyrique, les Orientales et les Feuilles d’Automne avec leur chaud coloris, les Iambes brûlans et le Pianto, les vers étincelans et passionnés d’Alfred de Musset, le poème de Marie dans sa grâce pudique, les Consolations avec leur charme intime et pénétrant. Entre ces œuvres si différentes de couleur et d’inspiration, il y avait un trait commun : elles procédaient de la même source, elles étaient la poésie d’un siècle nouveau. Et, qu’on l’observe bien, il y avait alors entre les poètes et le monde qui les écoutait cette secrète intelligence qui fait d’une œuvre d’art l’expression saisissante et consacrée de tout un ordre d’impressions et de sentimens. Les contemporains s’intéressaient à ces tentatives hardies d’un esprit plein de jeunesse ; les poètes à leur tour entraînaient