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de lâcheté qui se découvrent devant l’œil épouvanté ; c’est le plus splendide écrin de perles empoisonnées qu’un tyran puisse rêver pour sa couronne.

Puisque je suis en train de proférer des hérésies, j’irai plus loin, et je dirai presque de la nature ce que je dis des hommes. Je n’ai pas vu l’Orient et je ne désire pas le voir. Lorsque mon imagination se plaît à rêver voyages, ce n’est jamais vers les pays où se lève la lumière qu’elle s’envole de préférence. Comment se fait-il que les meilleures descriptions, les plus pittoresques, les plus exactes, celles où l’on sentie mieux que l’auteur s’est piqué de vous faire admirer ce qu’il a admiré, me laissent presque indifférent ? Au premier aspect, je suis ébloui ; au bout de la vingtième page, mon esprit tombe dans la torpeur, et il me faut faire effort sur moi-même pour rouvrir les yeux et continuer à regarder. Est-ce parce que mon imagination est satisfaite trop vite et qu’elle n’est pas menée assez lentement de degré en degré jusqu’aux dernières limites de l’admiration, qu’elle n’éprouve pas ce charme des surprises successives que l’Italie fait éprouver, dit-on, au voyageur qui la visite tout d’une course depuis Gênes jusqu’à Naples ? Peut-être ; mais je suis très porté à croire que le narrateur a éprouvé la même lassitude que moi, ou du moins que comme moi il a vu dès le premier aspect tout ce qu’il pouvait et devait voir ; je le sens à ses efforts pour varier ses formules, à son impuissance à renouveler l’expression de son admiration ; c’est toujours le même éblouissement, les mêmes splendeurs. Le voyageur, vécût-il cent ans en Orient, ne verrait pas autre chose que ce qu’il a vu dès la première heure. La nature est décidément trop riche en Orient pour n’être pas paresseuse ; on dirait qu’elle ne sent pas le besoin de plaire, d’intéresser, d’attacher. Reine orgueilleuse, elle ne se soucie pas d’être aimée, elle ne veut qu’être admirée ; toujours grave, majestueuse et souveraine, elle ne connaît ni les sourires, ni les attendrissemens de la lumière. Elle a une grandeur incomparable, mais aussi de la monotonie et de la sécheresse. Combien elle est différente de la nature de notre pauvre Occident, si familière, si sympathique, si remplie de charme intime ! Celle-là n’est pas riche comme la nature orientale ; aussi, pour plaire, elle a prodigué toutes les ressources de la coquetterie la plus aimable ; elle a comme multiplié les efforts pour être toujours variée et toujours nouvelle. Qui l’a vue un soir ne la reconnaît plus le lendemain, et la vie la plus longue ne suffirait pas pour compter le nombre des masques qu’elle sait prendre et des costumes qu’elle sait inventer. Quelles richesses, s’il faut les acheter au prix de la monotonie, valent ses jeux de lumière, ses caprices de couleur, les boutades de ses contrastes et les délicatesses