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Francisco de Saude, eut l’idée d’aller simplement à la conquête de la Chine. En ce temps-là, un hidalgo ne doutait de rien. La cour de Madrid retint ce fonctionnaire impétueux en lui enjoignant de vivre en paix avec ses voisins. Dans le cours du XVIIe siècle, les Chinois, établis en grand nombre sur le sol de Luçon, se mirent plusieurs fois en révolte contre l’autorité espagnole : chacune de ces insurrections fut écrasée et noyée dans des flots de sang. Au XVIIIe siècle, un danger plus sérieux menaça la colonie. Le 22 septembre 1762, une escadre anglaise se présenta devant Manille ; elle apportait la nouvelle de la déclaration de guerre entre l’Angleterre et l’Espagne et la sommation de rendre la place. Le gouverneur-général étant mort récemment, l’autorité était exercée par l’archevêque. Celui-ci se défendit courageusement ; mais le 4 octobre, assailli par des forces supérieures, il dut capituler. Cependant les Anglais, maîtres de Manille, n’étaient point pour cela maîtres de Luçon. Tandis que l’on signait la capitulation, un juge, Simon de Anda y Salazar, gagnait la campagne à la tête d’une vaillante troupe, et s’en allait dans les districts voisins organiser la résistance. Pendant deux ans, il tint les Anglais en échec, les battant dans de continuelles escarmouches et leur faisant à outrance cette guerre de partisans dans laquelle a excellé de tout temps l’héroïsme espagnol. Enfin, après deux ans de luttes, on apprit que la paix avait été conclue en Europe. Les Anglais évacuèrent Manille, où Simon de Anda rentra en triomphe avec ses glorieuses bandes. Dans la période contemporaine, nous n’avons à signaler que les expéditions contre les sultans de Soulou et contre les pirates de la Malaisie. L’histoire extérieure des îles Philippines est donc peu féconde en incidens. L’Espagne a gardé l’archipel tel qu’elle l’a reçu des premiers jours de la conquête : elle n’a point subi la déchéance qui a frappé le Portugal, elle ne s’est point trouvée mêlée aux querelles de territoire qui, dans les pays asiatiques, ont fréquemment divisé l’Angleterre et la Hollande ; aucune rivalité européenne n’est venue la troubler dans la jouissance de cette magnifique possession, qu’elle doit au génie de Magellan.

Mais cette tranquillité parfaite n’a point toujours régné dans le gouvernement intérieur de la colonie. Là se trouvaient en présence, avec d’égales prétentions à la suprématie, deux autorités qu’il n’a jamais été facile de concilier. Le gouverneur-général et l’archevêque, le soldat et le moine, étaient souvent en désaccord, et à cette distance de l’Europe les luttes du temporel et du spirituel s’engageaient avec une ardeur que ne pouvait tempérer aucun arbitrage. Tantôt le gouverneur-général mettait l’archevêque en prison, tantôt l’archevêque excommuniait le gouverneur et prêchait la révolte. Comme il ne fallait pas moins de deux ou trois ans pour que les