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pas, il ne la souffre pas chez les autres. Un de nos compatriotes, après une longue résidence aux Philippines, a publié, il y a quelques années, ses impressions. Il a décrit son habitation, entourée de bois épais, d’Indiens féroces, de crocodiles et autres bêtes sauvages ; il a raconté ses combats avec les uns et avec les autres, comment il a défriché les forêts, dompté les Indiens et massacré les crocodiles, comment il a vu des cervelles humaines servies à des festins de cannibales, et, spectacle moins terrible, des Tagals couveurs, c’est-à-dire faisant éclore des œufs de canard en dormant dessus. Ces récits ont, à ce qu’il paraît, obtenu un certain succès, car ils ont eu deux éditions en France et l’honneur d’une traduction anglaise. Sir John Bowring, qui est d’ordinaire peu facétieux, se met en frais de malice pour contredire les exagérations plus que pittoresques de M. de La Gironnière ; il a visité le domaine décrit par le trop ingénieux conteur, et il n’a rien vu de pareil, ce qui n’aurait pas dû le surprendre, puisque le Français avait métamorphosé ce lieu terrible ; il prend même la peine d’expliquer compendieusement le procédé artificiel employé pour l’éclosion des œufs de canard, sans la moindre superposition de Tagal : Enfin il annonce par une note (in notà venenum) que M. de La Gironnière est reparti pour les Philippines, chargé d’une mission scientifique par le gouvernement français. Pourquoi pas ? Tout cela est de bonne guerre, mais j’y trouverais presque de l’ingratitude, car certainement ce qu’il y a de plus amusant dans le livre de sir John, c’est l’extrait de la relation extraordinaire que nous devons à l’imagination de notre compatriote.

On aurait pu s’attendre à une description moins aride des ports ouverts en 1855, Suai, Iloïlo et Zamboanga, que sir John Bowring a successivement visités. C’était là l’occasion de fournir quelques détails nouveaux sur l’organisation et sur les mœurs des Philippines. Malheureusement le voyageur conserve partout sa tenue correcte et son imperturbable sang-froid économique ; il faut plonger les regards à travers un amas de chiffres pour découvrir quelque trait curieux ou intéressant de la vie indigène. Nous voudrions de temps à autre le récit d’un touriste, nous ne lisons le plus souvent qu’un rapport de consul. Des trois ports où le décret de 1855 a permis aux étrangers d’établir des comptoirs, Iloïlo, dans l’île de Panay, est le plus considérable. Sir John Bowring, en parcourant les environs de la ville, remarque les apparences de richesse que présente le pays, l’étendue et la nombreuse population des villages, la bonne harmonie qui règne entre l’autorité espagnole et les Indiens, l’influence prépondérante du clergé. Partout il est accueilli avec les honneurs dus à sa position officielle : l’alcade s’empresse à sa rencontre, suivi du maire et des notables, la population lui fait fête et