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à Sual dès l’ouverture du port ; il ne dédaigne pas l’économie politique, il applaudit à une réforme qui doit tourner au profit de ses ouailles, et, oubliant que les Anglais sont hérétiques, il les verrait volontiers arriver avec leurs marchandises et leur argent. L’esprit libéral ne serait donc point banni des couvens de Sual : habitués à gouverner les intérêts temporels des populations, quelques moines ont compris qu’il est temps d’introduire parmi les Indiens l’habitude du travail, et tandis que l’alcade, nommé seulement pour quelques années ou pour quelques mois, ne songé qu’à passer doucement son temps d’exercice, le prêtre, qui est attaché pour la vie aux destinées de son village, s’occupe plus activement du bien-être de tous ; il surveille le commerce et confesse ses pénitens sur l’état de leurs récoltes. C’est une justice qu’il faut rendre à certains couvens des Philippines, et si l’on n’avait sous les yeux que l’exemple de Suai, on serait presque tenté de reconnaître que, dans la situation présente de la société indienne, aucune influence ne remplacerait avec avantage celle des couvens pour développer les progrès matériels.

Sir John Bowring ne séjourna que très peu de temps à Zamboanga. Tant que les Espagnols n’auront point étendu leur domination à l’intérieur de l’île Mindanao, le commerce de ce port demeurera à peu près nul. Avant 1855, les baleiniers des mers du Sud venaient en assez grand nombre à Zamboanga pour y renouveler leurs vivres, et par la même occasion ils faisaient un peu de contrebande. Lorsque les échanges ont été régulièrement autorisés, on a établi une douane, afin de percevoir les droits ; depuis ce moment, les baleiniers vont ailleurs. Une forteresse commande la côte, mais à l’arrivée du steamer anglais qui portait sir John Bowring, elle ne put tirer la salve d’usage, les magasins de poudre se trouvant tout à fait vides. Mieux Vaudrait assurément une douane sans douaniers qu’un fort sans poudre. Aujourd’hui que les Européens ont la faculté de trafiquer à Zamboanga sous la protection de la douane, il ne s’y vend presque rien. Voilà le résultat de la réforme libérale de 1855. C’est ce qu’il y a de plus curieux à observer, quant à présent, dans ce petit port, où l’officier qui remplit les fonctions de gouverneur occupe ses loisirs à former une collection d’armes malaises. Il est très bien placé pour cela, car les îles voisines, Bassilan, Soulou, sont peuplées de pirates, et le collectionneur peut s’y procurer à bas prix toutes les variétés de kris, de yatagans, de lances, en usage chez les Malais.

L’ouverture des trois ports est de date trop récente pour que l’on puisse apercevoir dès à présent les effets que produira sur la population indienne l’établissement de relations plus directes avec le commerce étranger. L’excellence de la mesure n’est pas contestable,