Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le clergé, tout-puissant aujourd’hui, accueille et favorise ces nouveautés ? Il n’y gagnera rien pour lui-même ; il ne peut qu’y perdre. Ce sentiment, purement humain, de conservation n’a jamais été étranger à la politique de l’église ; prêtre ou laïque, on aime à garder ce que l’on a. Mais un sentiment plus élevé pourrait inspirer les moines dans leur résistance. L’archipel des Philippines est aujourd’hui conquis à la foi catholique. La loi de Rome y règne sans partage. Le Chinois qui débarque à Manille se convertit et prend pour ainsi dire son billet de confession en même temps qu’un permis de séjour. L’hérésie n’a pas droit de cité. Quant aux tribus idolâtres qui habitent l’intérieur des îles, les moines les considèrent comme une proie ou plutôt comme une récompense promise à leurs courageuses prédications, et ils comptent à l’avance ces sauvages au nombre des fidèles qui viendront, au jour marqué par Dieu, grossir leur docile troupeau. Or n’est-il pas naturel que les moines craignent de voir s’altérer, au contact des étrangers, cette grande unité catholique dont ils se montrent si fiers ? La liberté des cultes dans une colonie est la conséquence forcée de la liberté commerciale. Si les Anglais, les Américains, les Hollandais, les Allemands s’établissent non-seulement à Manille, mais encore dans les principaux ports de l’archipel, les temples protestans ne tarderont pas à s’élever à côté de l’église et du presbytère ; puis les musulmans réclameront leur mosquée, et enfin le Chinois, jusque-là si soumis et si humble, comprendra qu’il peut s’enrichir sans aller à la messe ; il ne se donnera plus la peine de paraître catholique, et il voudra sa pagode. Croit-on que le clergé espagnol serait d’humeur à tolérer de pareilles profanations ? On ne doit pas demander à des hommes animés d’une foi sincère et intolérans par conscience un sacrifice qui serait pour eux un crime et, pis que cela, un péché ! Vainement vous leur montrerez les grandes villes de l’Inde anglaise riches et florissantes avec leur liberté commerciale et religieuse : Java, où les Hollandais subventionnent le culte indigène, et ce petit port de Singapore, l’entrepôt du commerce asiatique, où le voyageur embrasse du même coup d’œil la pagode chinoise voisine de la mosquée et la coupole du temple protestant auprès de la flèche gothique surmontée de la croix ! Les moines espagnols n’accepteraient pas pour les Philippines une grandeur coloniale qui serait payée d’un tel prix. Ils ne tiennent pas à ce que les Tagals travaillent, cultivent, importent et exportent plus ou moins ; ils ne se soucient guère des doctrines d’Adam Smith ou de Malthus, ni des avis d’un économiste de passage qui vient prêcher des routes, des ponts, des marchés, et promettre qu’en échange du sucre, du café et du tabac, que l’archipel produit abondamment, l’Angleterre se chargera de fournir d’excellentes