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nombre ; les races indigènes sont indolentes et indifférentes ; elles ne prendraient point parti pour l’étranger, mais elles ne feraient aucun effort d’énergie ou de patriotisme au profit de l’Espagne… » En d’autres termes, si la guerre éclatait entre l’Angleterre et l’Espagne, si les escadres britanniques qui stationnent dans les mers de la Chine et de l’Inde se présentaient devant Manille et sur les points abordables de la côte, la colonie se trouverait fort compromise, l’Espagne ne possédant pas assez de troupes pour garnir les positions les plus importantes, ni assez d’argent pour les entretenir en état de défense. Tel est le commentaire de l’opinion exprimée par le voyageur anglais, et, si cette opinion est exacte, on s’explique aisément que le gouvernement espagnol saisisse les occasions de marcher d’accord avec la France, alors que la Grande-Bretagne augmente sans cesse dans les mers de Chine sa puissance et ses moyens d’attaque. L’alliance et à un moment donné l’action commune sont conformes aux intérêts et aux sentimens des deux nations catholiques. Nous ne saurions donc demeurer indifférens aux destinées des Philippines. Nous devons désirer que l’Espagne mette à profit les ressources de toute nature que renferme ce vaste archipel. Le récent écrit de sir John Bowring indique clairement le caractère, les difficultés et les vices du système de colonisation que la conquête y a établi, qui s’est maintenu à peu près intact pendant trois siècles, et qui doit aujourd’hui faire place à des combinaisons nouvelles. Il démontre que, malgré les intentions les plus pures, l’autorité cléricale est impuissante à gouverner les intérêts matériels d’une société ; il prouve, en second lieu, que les doctrines de l’ancien régime colonial, les prohibitions, les monopoles, sont condamnées par une trop longue expérience, et ne s’accordent plus avec les besoins de notre temps. Ces deux questions, l’une sociale, l’autre économique, se débattent ailleurs qu’aux Philippines, et plus près de nous. Elles agitent et divisent les consciences et les intérêts. Ne dédaignons pas les enseignemens qui nous arrivent du fond de l’Asie, s’ils nous apportent quelque rayon de lumière. Le Tagal, sous le joug paternel et chéri du moine, végète dans la paresse et l’ignorance ; l’une des plus riches colonies du monde demeure presque stérile par l’effet d’une législation surannée. C’est que partout, au milieu des tribus primitives comme au sein de la vieille Europe, la prospérité d’une société exige la juste répartition des pouvoirs et l’entière liberté du travail.


C. LAVOLLEE.