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près les doctrines primitives du protestantisme ; la gauche tend à les mettre toujours plus en harmonie, fût-ce au prix de grandes modifications, avec les exigences de la science et de la raison contemporaines. C’est leur antagonisme même qui constitue le ressort et le principe du développement. Il est sans doute naturel à ceux dont l’idéal religieux consiste dans l’unité rigoureuse de la doctrine de n’envisager un tel état de choses qu’avec une extrême répugnance ; mais tout dépend ici de la notion fondamentale que l’on adopte sur la nature des dogmes religieux. Les partisans de celle que je signale ici comme la plus protestante de toutes prétendent que l’église, comme l’état, en acceptant une telle constitution, échappe par là au double fléau de la stagnation et de la révolution, — que l’individu qui en fait partie n’est condamné ni à l’isolement complet, qui n’est jamais bon pour l’homme, mais qui, en religion surtout, lui est fatal, ni à ce communisme religieux sous le régime duquel la foi, à force d’être celle de tout le monde, n’est plus celle de personne, — et qu’après tout ce n’est là qu’une application d’un des principes les plus chers à la philosophie de l’histoire, celui de la légitimité du libre développement sur une base historique une fois donnée.

Naturellement la profonde transformation dont nous parlons ne s’opéra pas en un jour. Pendant le XVIIe siècle, les doctrines consacrées à Dordrecht régnèrent pour ainsi dire sans partage. On put seulement s’apercevoir, à la vivacité des discussions entre les voetiens ou les orthodoxes, rigides groupés autour du professeur Voetius et les cocceiens ou les disciples du fameux allégoriste Cocceias, qu’une très grande conformité de vues ne pouvait empêcher une droite et une gauche de se former dans l’église protestante. À la fin du siècle, un pasteur d’Amsterdam, B. Bekker, écrivait son curieux livre, le Monde enchanté, dans lequel il attaquait de front les idées vulgaires sur le diable et les sorciers. Un autre pasteur, Roell, osait porter la critique sur le dogme de la trinité. Au XVIIIe siècle, c’est la Bible qui attire surtout la savante activité des écoles hollandaises. L’honneur de la première fondation de la grande exégèse leur appartient, grâce surtout aux travaux des Schultens. Cependant il faut observer que, si l’érudition voit augmenter la liste des noms dont elle s’honore, la philosophie, qui sonde les grands problèmes religieux, fait très peu de progrès. La prédestination calviniste était décidément reléguée à l’arrière-plan. On n’affirmait peut-être pas catégoriquement le libre arbitre, mais on parlait comme si on l’eût affirmé. On ne se fût pas déclaré contre les vieilles doctrines de la trinité, du péché originel, de la satisfaction offerte à Dieu par le Christ. Pourtant il était nécessaire que des études si exclusivement bibliques devinssent préjudiciables à la longue à des dogmes dont la présence