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Autant il est conforme à l’esprit moderne et même à l’intérêt bien entendu de la religion chrétienne qu’une critique sévère et dont rien ne puisse faire suspecter l’indépendance rappelle toujours les droits de la science et les maintienne contre les prétentions aisément tranchantes du dogmatisme religieux, autant il est peu philosophique d’en faire une batterie montée contre l’église chrétienne et le christianisme. Ce n’est pas avec l’esprit sectaire engendré fatalement par une telle tactique que l’on peut combattre avec avantage le même esprit se révélant ailleurs sous d’autres formes, et il n’est pas besoin de longues réflexions pour comprendre que la critique n’est pas plus désintéressée dans le camp de la négation à outrance que dans celui de l’affirmation à tout prix.

Du reste, les effets de cette tendance ont été, jusqu’à présent du moins, tout à fait inappréciables sur la population, qui, en immense majorité, considérerait plutôt le Dageraad comme un mauvais livre qu’on lit en cachette : jugement dont l’exagération même confirme tout ce que nous venons de dire. Quant au mouvement orthodoxe, ainsi nommé de ce qu’il tend à rétablir dans leur ancienne rigueur les doctrines officielles de l’église réformée, il a compté au nombre de ses représentans des hommes fort distingués, dont l’influence, secondée par les causes que nous avons décrites, eût été bien plus puissante, si elle n’avait pas rencontré un ennemi invincible dans cet esprit de critique et de libre examen dont le protestantisme ne peut pas se défaire. Parmi eux, il faut citer M. Groen van Prinsterer, historien, homme d’état, orateur politique, l’un de ces beaux talens dont un pays peut s’honorer. Ce n’est pas en théologien, c’est plutôt en politique et en historien, qu’il a pris parti pour le réveil orthodoxe. Il pense que l’enseignement de l’église réformée ayant été fixé au XVIe et au XVIIe siècle, personne n’a le droit dans son sein d’énoncer des idées contraires. Il croit le salut du pays attaché au strict maintien des doctrines consacrées à Dordrecht, et à l’autorité, sinon absolue, du moins très prépondérante de la maison d’Orange. Ce n’est pas un des moindres titres de gloire de cette royale maison qu’il soit très difficile d’en raconter l’histoire sans en devenir le chaud partisan, et c’est ce qui est arrivé à M. Groen.

Ce côté politique de la question religieuse en Hollande avait été aussi adopté par M. Da Costa, Juif d’Amsterdam converti au christianisme sous l’influence de Bilderdyk, et qui porta dans ses convictions chrétiennes un vif talent de poète, les chaudes couleurs d’une imagination tout orientale et une véritable subtilité de rabbin. Aux yeux de cet homme remarquable, que la mort vient d’enlever à son pays, le peuple hollandais était dans le monde moderne quelque chose comme le peuple d’Israël dans l’antiquité, le dépositaire en