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de cette école, que les hommes qui s’y sont rattachés, laïques et pasteurs, ont pris l’initiative ou le patronage d’un grand nombre d’œuvres de philanthropie éclairée. Beaucoup d’institutions ayant pour but le relèvement moral et l’instruction du peuple, le soulagement de ses misères et la propagation d’une piété spiritualiste et tolérante, sont dues à leur zèle, et chose assez rare, on put voir l’hétérodoxie de Groningue faire quelque honte, par sa ferveur philanthropique, à l’orthodoxie voisine, qui s’était un peu trop endormie dans ses vieilles habitudes. Toutefois son système de compromis en matière de doctrines, qui ne contentait nullement la réaction orthodoxe et lui valut de sa part de très violentes attaques, ne devait pas tarder à être dépassé par la science religieuse dont elle avait elle-même répandu le goût et maintenu le bon droit. Ce qui lui manquait surtout, c’était la critique et l’esprit philosophique.

L’école de Groningue n’était après tout qu’un pas en avant vers la théologie moderne. Dans ces dernières années, c’est à Leyde que la science religieuse s’est déployée avec le plus de hardiesse et d’autorité. La célèbre université de cette ville, qui n’a cessé de compter d’illustres noms dans son corps professoral, est toujours digne de son passé. Le doyen actuel de ses professeurs en théologie est le vénérable van Hengel, un de ces hommes comme nous en connaissons trop peu en France, chez qui l’érudition est plus qu’une passion, car elle est leur vie. Plus qu’octogénaire, mais ayant conservé une verdeur et une activité vraiment juvéniles, il présente le type achevé de l’un de ces savans d’outre-Rhin dont M. Renan a si bien décrit le caractère et les habitudes dans son étude sur Creuzer[1]. Je n’oublierai jamais l’impression que je ressentis en entrant pour la première fois dans le cabinet du vieux docteur, lorsqu’à travers les méandres de sa bibliothèque, au milieu des livres empilés, j’aperçus sa tête originale et expressive se détachant avec vigueur sous une riche couronne de cheveux blancs. La culotte courte, les souliers à boucle, la coupe de l’habit, tout dans son extérieur me reportait à soixante ans en arrière. Toutes les conditions d’un tableau de la vieille école hollandaise étaient là : table tapissée de serge verte, canal silencieux et ombragé passant sous la fenêtre, joyeux et modeste rayon de soleil, comme on n’en voit qu’en Hollande, se jouant discrètement sur les respectables in-folio alignés le long des murs. M. van Hengel, auteur de commentaires très estimés sur plusieurs livres du Nouveau Testament, est un représentant de l’ancienne philologie. Malgré son âge avancé, il continue ses travaux. En conversation, il peut prendre feu avec la vivacité

  1. Essais de critique et de morale, Paris 1859.