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imaginé une méthode de conservation non moins efficace. Lorsqu’ils renoncent à conserver une partie notable de leurs raisins en les laissant sur les treilles convenablement garanties, ils les disposent de la manière suivante dans leurs fruitiers : le sarment qui porte les grappes est coupé au sécateur à huit ou dix centimètres au-dessus et au-dessous du pédoncule ; le bout supérieur du sarment est quelquefois cacheté afin de ralentir l’évaporation, l’extrémité inférieure est plongée dans de l’eau pure ou légèrement sucrée que contient une petite fiole placée sur une tablette, et dont le goulot est maintenu dans un râtelier en bois. Ces fioles sont ainsi rangées tout autour des murs du fruitier : l’eau spontanément introduite par la section inférieure du sarment compense sans obstacle l’évaporation à la surface des fruits ; ceux-ci conservent leurs formes arrondies et une si remarquable fraîcheur qu’au bout de trois mois et au-delà les grappes ressemblent aux raisins nouvellement cueillis sur le cep à l’époque de leur maturité[1]. Dans tous les cas, le succès des moyens de conservation sur la treille ou dans le fruitier est d’autant plus certain que l’on a pratiqué avec plus de soin, dès les premiers temps de la formation du fruit, l’excision des grains trop serrés qui se seraient opposés au libre accès de l’air et de la lumière, auraient rendu la maturité incomplète, et plus tard par leur mutuel contact, retenant l’eau interposée, auraient occasionné une inévitable altération putride.

Une question importante est soulevée relativement au raisin considéré comme objet direct d’alimentation. En certaines contrées, on regarde le raisin comme une sorte de médicament à mettre jusqu’à un certain point en parallèle avec les eaux minérales. D’autre part, on accorde au raisin diverses propriétés nutritives. Les faits positifs et la théorie, qui en toute chose n’est qu’une résultante des faits bien observés, s’accordent à montrer que ces opinions, en apparence contraires, sont parfaitement conciliables.

Il y a quelque quarante ans, un viticulteur bourguignon, profond observateur, M. Morelot de Dijon, rendant compte dans un ouvrage spécial des anciennes pratiques traditionnelles parmi les propriétaires de sa contrée, disait que jusqu’alors la plupart avaient coutume d’abandonner pour toute nourriture à leurs ouvriers, durant les vendanges, le raisin qu’ils mangeaient à discrétion, et puisque ceux-ci généralement s’en contentaient, on pouvait croire que le

  1. On a pu voir à l’exposition ouverte dans le Palais de l’Industrie cette année même, mai 1860, par la Société centrale d’horticulture, les magnifiques spécimens de chasselas coupés sur les treilles de Thomery à la fin du mois de septembre 1859 et parfaitement conservés suivant cette méthode par MM. Rose et Constant Charmeux et deux autres viticulteurs.