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la foule, en demandant aux émeutiers ce qu’ils voulaient. Ceux-ci obtinrent aux cris de « vive le roi ! » la liberté de ceux d’entre eux qu’on avait déjà arrêtés, et, cette concession leur donnant du courage, le désordre continua toute la nuit. Le lendemain 19 étant un dimanche, le désœuvrement se joignit aux autres causes de tumulte. La troupe, humiliée la veille, obtint enfin l’autorisation de se défendre. Assaillie de pierres quand elle se bornait à protéger les maisons menacées, elle fit plusieurs décharges ; mais nul ne ramassa de cadavre pour le promener en triomphe et changer l’émeute en révolution : l’agitation était factice, et le débat n’était qu’entre l’esprit d’une législation nouvelle et l’égoïsme des privilégiés, non pas entre le gouvernement et la nation même. Le trouble cessa bientôt pour laisser place aux communs efforts du gouvernement et des chambres.

L’agitation réformiste répondait du moins véritablement au besoin général et profondément senti de modifier le mode de représentation nationale que la Suède avait conservé.

Malgré l’exemple de la Norvège, qui, en 1814, a réalisé le rêve d’une royauté entourée d’institutions républicaines, malgré celui du Danemark, qui, en 1849, a franchement adopté le régime parlementaire, la Suède est entre tous les états de l’Europe un de ceux qui ont conservé le plus fidèlement leurs anciennes institutions. La révolution de 1809 est loin d’avoir porté encore toutes ses conséquences intérieures. La constitution que la Suède s’est donnée alors n’a pas enlevé à la royauté toute la prépondérance que les lois du temps de Gustave III lui avaient reconnue. Cette constitution a laissé dans l’organisation de la représentation nationale en Suède des traces visibles du passé même le plus reculé. L’ordre des paysans, au commencement de chaque diète et jusqu’à ce que le roi ait nommé l’orateur de cette chambre, est présidé encore aujourd’hui par le paysan qui représente le district dans l’enceinte duquel Odin, en prenant possession du pays, fonda jadis le temple de Sigtuna, antérieur à celui d’Upsal. Aujourd’hui comme autrefois, la noblesse suédoise compose de droit et à elle seule une des quatre chambres qui constituent la représentation nationale. Le chef de toute famille a par sa naissance une voix dans l’assemblée de son ordre ; il peut s’y faire remplacer par un de ses parens et déléguer sa voix même à un membre d’une autre famille. Comme autrefois, les paysans, c’est-à-dire les propriétaires de la campagne non nobles, élisent, leurs représentans, qui forment une chambre particulière ; comme autrefois et depuis le XIVe siècle, les députés des villes forment la chambre de la bourgeoisie ; le clergé enfin forme aussi, comme jadis un ordre privilégié. Personne n’ignore quelles fâcheuses conséquences entraîne après elle cette bizarre combinaison, léguée de