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tous les chrétiens dans leur propre querelle avec les Druses. La guerre commença ; mais au lieu de porter secours, pomme ils le pouvaient, à leurs coreligionnaires menacés, ils s’enfermèrent dans leurs murs. Au moment où ils se virent eux-mêmes assiégés par les Druses, l’armée maronite vint à leur aide : ils refusèrent de la laisser entrer, attribuant au général Joseph Kârim des projets de conquête. Au reste, ils n’ont pas été les plus maltraités encore. Ils ont perdu sept cents hommes, mais ils en ont tué quinze cents aux Druses. Leur ville a été prise et brûlée, mais ils ont pu échapper avec leurs familles et leurs objets les plus précieux, et rejoindre l’armée de Kârim, qui avait bien voulu les attendre à quelque distance.

Telle n’a point été la fortune des malheureux habitans de Hasbâya. La population de cette ville se composait des nombreux émirs musulmans de la famille Schahâb, ennemis jurés des Druses, de plusieurs milliers de Grecs orthodoxes, d’un assez grand nombre de Maronites, et d’une communauté protestante cruellement persécutée par tous les autres cultes. Les protestans toutefois, au moment du danger, firent cause commune avec les émirs et leurs concitoyens pour la défense de la patrie. Le vieux Barakât lui-même, aimé et vénéré de toute la montagne, à cause de sa piété, voulut marcher au combat malgré ses soixante-quinze ans, et combattre à côté de son fils Mansour. Ce fut Mansour qui, se frayant seul un passage à travers les rangs des Druses, saisit le drapeau ennemi, trancha la tête à celui qui le portait, et revint, brandissant son trophée, au milieu des chrétiens. Ceux-ci cependant finirent par faiblir malgré l’aide des Turcs, qui, sans faire beaucoup pour eux, se décidèrent à tirer deux coups de canon contre les Druses, et offrirent aux chrétiens vaincus un refuge dans la forteresse à la condition de crier : Dieu rende le sultan victorieux ! et de livrer leurs armes. Environ onze cents hommes acceptèrent cette condition, et Osman-Bey, le colonel turc, signa avec eux un traité par lequel il garantissait la vie des chrétiens sur sa propre tête. Après les avoir désarmés, il les garda environ dix jours dans le château, mourant de faim, car, aux termes du traité, il ne s’était pas engagé à les nourrir, et ils ne pouvaient sortir pour se procurer des vivres. Osman jugea prudent alors d’envoyer les fusils de ses hôtes à Damas sous escorte. Les Druses, bien entendu, dispersèrent le détachement et s’emparèrent des armes, sans coup férir, à une heure de Hasbâya, après quoi, ils vinrent briser les portes de la forteresse, sans qu’Osman ni ses soldats opposassent la moindre résistance, et déclarèrent que leurs chefs voudraient bien se contenter des têtes des émirs et d’un certain nombre de chrétiens dont ils avaient la liste. Cependant Naïfa, la sœur de Saïd-Bey, le général en chef des Druses, avait parmi les chrétiens quelques amis particuliers auxquels elle fit offrir un refuge chez elle. Au nombre de ces derniers était le vieux Barakât, mais parmi ceux dont la tête était demandée était son fils Mansour. Barakât se jeta sur son fils, et, le tenant étroitement embrassé, déclara que rien ne le séparerait de lui. Les Turcs, remplissant le rôle de médiateurs à leur manière, tâchèrent de lui représenter que la chose était impossible, et que la raison voulait qu’il consentît à vivre et abandonnât son fils. Ne pouvant le persuader, ils les laissèrent tous deux aux Druses, qui les mirent immédiatement à mort. Alors commença une scène de carnage dont rien ne peut faire comprendre l’horreur. Mille cinquante hommes désarmés,