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une législation faite pour d’autres siècles ; elle l’a compris désormais, et malgré quelques appréhensions bizarres, malgré d’aventureuses prétentions, elle est entrée dans la voie d’un développement sincère et prudent.

Une réforme non moins grave que les deux précédentes, par son influence immédiate sur toute la nation suédoise et sur toutes les sources de son progrès et de sa prospérité, a été celle de la législation sur l’eau-de-vie. Le roi Oscar y attachait un prix particulier et l’a poursuivie, appuyé sur l’opinion publique, avec une sollicitude vraiment paternelle.

D’une part la difficulté des communications intérieures et de l’exportation, d’autre part une science financière imparfaite et une mauvaise assiette de l’impôt avaient favorisé, surtout depuis la fin du XVIIIe siècle, la distillation de l’eau-de-vie de grains. Le paysan croyait trouver plus de profit à convertir sur place en une denrée d’un moindre volume et d’une plus grande valeur apparente les blés et le seigle, qu’il ne transportait que malaisément à la ville ou vers la côte, souvent éloignées, et l’état, en soumettant à une taxe très indulgente les produits des distilleries, petites et grandes, qu’il autorisait pendant toute une moitié de l’année, croyait faire un profit considérable et favoriser surtout la petite industrie. C’était de part et d’autre un détestable calcul. La fabrication de l’eau-de-vie de grains prit un accroissement énorme sous l’empire de cette législation. Tandis qu’elle était évaluée sous Gustave III à 6 millions de kannes (la kanne vaut 2 litres 68 c.), elle atteignit en 1852 le chiffre de 40 millions, soit environ 1 million d’hectolitres pour une population de 3, 500, 000 habitans. Malgré cette énorme production, les recettes de l’état n’atteignaient que 500, 000 rixdales de banque, environ 1 million de francs ; en même temps, le venin de cette détestable boisson s’était répandu dans la nation tout entière. L’usage de l’eau-de-vie était devenu traditionnel et quotidien dans toutes les classes de la société suédoise. Vous n’assistiez pas à un seul dîner, dans les maisons bourgeoises ou nobles, qu’on ne vous offrît avant le repas, sur une petite table dressée à part, de l’eau-de-vie, du beurre, du fromage et des radis, usage barbare, d’un funeste exemple et tout contraire à l’antique axiome de la gastronomie :

Nil nisi lene decot vacuis committere venis.


L’ouvrier, le pauvre, le paysan, n’avaient pas manqué d’ajouter chaque jour à leur poisson sec et à leur lait caillé un assaisonnement qu’ils se procuraient à vil prix. Une fois entré dans la pauvre famille, le poison s’y propageait du père à la mère et de la mère à l’enfant. Tandis que chez le riche, à la ville, on donnait de l’eau-de-vie au