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après tant de malheurs, et par-dessus tout fonderait sur une base glorieuse la popularité du prince royal et de sa jeune dynastie.

Il faut rendre justice à Bernadotte : il voulut d’abord obtenir cet agrandissement de la volonté de l’empereur Napoléon, et il persista jusqu’en septembre 1812 à offrir sa coopération en échange. Il est probable qu’il était de bonne foi au commencement de l’année 1811, et qu’il ne désespérait pas alors de réussir, car on le voit insister vivement et demander au moins l’évêché de Throndhiem, acquisition qui lui eût rendu l’ancienne frontière de la Suède sous Charles X Gustave ; mais le Danemark, qu’il eût fallu dépouiller, était opiniâtrement fidèle à notre alliance : Napoléon ne crut pas devoir le sacrifier à Bernadotte, dont il se défiait. Non content de se refuser aux vœux du prince royal de Suède, il ne daigna même pas lui répondre, et l’humilia ainsi profondément. Bernadotte avait d’ailleurs pris ses mesures ; il s’était adressé, pour obtenir la Norvège, à l’Angleterre et à la Russie presque en même temps qu’à l’empereur, et ces puissances avaient eu soin d’entretenir en lui un espoir qui leur répondait de sa politique. Plus tard même, quand sa coopération était devenue évidemment précieuse, Alexandre avait pris sur lui, dans la fameuse entrevue d’Abo (août 1812), de lui promettre expressément son intervention auprès des cours alliées pour qu’on lui garantît cette conquête. On sait que Bernadotte paya cher cette seule promesse ; 1813 en fut le prix. L’Angleterre, en accédant à ses vœux, en escompta à l’avance la réalisation : dès octobre 1812, quand le prince royal était en instance auprès d’elle, elle stipula que la Norvège serait seulement unie à la Suède comme royaume entièrement autonome, et le traité signé à la suite de ces négociations, le 3 mars 1813, déclara formellement que l’union serait accomplie « avec tous les ménagemens et toutes les mesures nécessaires ou utiles pour le bonheur et la liberté du peuple norvégien. » La Prusse lui accorda sa garantie en mars 1813, et l’Autriche en février 1814, sans conditions particulières. Malgré l’empressement à accepter et même à remplir tous les engagemens qu’on lui imposait, Bernadotte ne trouvait cependant pas dans la coalition le même zèle à s’acquitter envers lui ; on se montra beaucoup plus désireux, après Leipzig, de l’entraîner avec l’armée du Nord vers le Rhin et la Hollande à la poursuite de l’aile gauche de l’armée française qu’empressé à permettre qu’il allât avec son contingent régler ses comptes avec le Danemark, qui ne consentait pas à traiter en cédant la Norvège. Malgré les promesses sans cesse renouvelées, malgré les flatteries que les souverains lui prodiguaient, Bernadotte, déjà embarrassé par la conscience du rôle qu’il avait accepté, devenait impatient et défiant. La Russie s’était mise en possession de la Pologne,