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— Son intelligence n’a guère brillé à Bourbon, reprit-elle, se contenant à grand’peine. L’habitation a été ruinée par lui, nos affaires mises dans le plus mauvais état…

— Tout le monde n’est pas né pour les affaires, reprit Alexandre-Achille. — L’accent du lieutenant disait clairement l’antipathie un peu dédaigneuse de l’officier de marine pour les spéculations commerciales, quelles qu’elles soient. — J’en aurais probablement fait autant à sa place, ajouta-t-il.

— Permettez-moi d’en douter, dit Mme Louise avec une politesse forcée ; vous n’auriez pas, du moins je le présume, vécu dans la plus tendre intimité avec de misérables aventuriers…

Ne croyant nullement à la méchanceté nécessaire et fatale des belles-mères, nous pensons devoir expliquer la haine de Mme Tranchevent pour son beau-fils. Son premier grief contre Jean, c’était la violente passion que Firmin avait éprouvée pour sa mère, non que Louise connût les souffrances d’une jalousie rétrospective, mais toute histoire d’amour lui causait une irritation invincible. Femme intéressée, mère vulgairement ambitieuse, elle ne pouvait se résigner à voir dans sa maison le fils de l’étrangère jouissant des avantages de sa position et vivant sur un pied d’égalité, de supériorité même, avec son cher Cyprien. La mort d’un parent établi à Bourbon l’ayant rendue propriétaire d’une habitation considérable dans cette île vers l’époque où Jean atteignait sa dix-septième année, elle crut tenir l’occasion qu’elle cherchait. Sous prétexte de faire à son beau-fils une situation, elle l’envoya comme gérant à Bourbon, le condamnant dans sa pensée à un exil éternel ; mais personne n’était moins propre que Jean aux fonctions qu’on lui confiait. Le fils de l’Italienne avait une nature indépendante, expansive, enthousiaste et bienveillante à l’excès. Toutes ces nobles tendances développées, exaltées, outre mesure peut-être, par les voyages lointains, l’isolement des siens et la liberté absolue, tournèrent contre les intérêts de sa belle-mère, et, sans demander conseil, il revint de lui-même en France au bout de quatre années. Il faut ajouter qu’à part toute rancune intime, tout calcul, le caractère de Jean, ses instincts, ses idées étaient antipathiques au caractère, aux instincts et aux idées de sa belle-mère. Le bien pour Mme Louise, c’était ce qui, dans toutes les sphères imaginables, devait être avantageux à elle et à son fils ; le mal, tout ce qui pouvait troubler sa sécurité actuelle ou nuire à la prospérité future de Cyprien. Aussi Mme Louise passait-elle dans le monde pour la meilleure des mères. L’honnête simplicité des parens d’Hermine fut plus clairvoyante. Sous les allures doucereuses de leur parente, ils reconnurent bien vite l’égoïsme, l’étroitesse d’âme, la malveillance habituelle. Hermine perdit toute illusion sur sa tante le jour où elle