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Jean refusa d’abord, alléguant les embarras qu’il causerait dans la maison de son oncle. Le lieutenant insista fortement. — Puisque vous êtes assez bon pour m’offrir un asile, dit Jean après un court débat, permettez-moi de m’établir au-dessus de la cuisine, dans le grenier que j’ai vu tout à l’heure. Avec une table, des chaises, un hamac et quelques nattes, j’en ferai une habitation très comfortable. Là au moins je ne dérangerai que les araignées et les souris.

Grâce au concours empressé de Caroline, quelques heures suffirent pour transformer le grenier en un logis presque coquet. L’excellente fille poussa le zèle jusqu’à dépouiller sa chambre de deux beaux vases en porcelaine de Chine, présens d’une marraine jadis enrichie par la fugitive prospérité de la compagnie des Indes. Toute la famille Tranchevent aîné, y compris le lieutenant, était en train de mettre la dernière main à l’installation de Jean, quand M. et Mme Tranchevent jeune rentrèrent au logis pour dîner. Les traits de Louise prirent une expression singulière lorsque la vieille Jeannette lui apprit que tout le monde était en ce moment dans le grenier où devait coucher M. Jean. Accoutumée à combiner ses moindres démarches et consumant sa vie en calculs intéressés, Louise voyait partout des combinaisons et des calculs.

— J’avais cru que les marins étaient des gens naïfs et sans habileté aucune dans la vie pratique, dit-elle tout en se débarrassant de son chapeau.

— A propos de quoi dites-vous cela ? demanda Firmin.

— Malgré toutes les séductions de votre fils, répliqua-t-elle avec ironie, je doute fort que le lieutenant l’eût reçu avec autant d’enthousiasme et eût trouvé moyen de le loger dans sa maison, si en père prévoyant il n’avait pas songé que des entrevues fréquentes entre Jean et la belle Hermine amèneraient peut-être un résultat inutilement souhaité jusqu’ici.

— Jean est un enfant, tandis qu’Hermine est une fille faite, dit gravement Firmin. Jean aura quelque fortune, sans compter la position qu’il arrivera tôt ou tard à se créer ; Hermine n’a et n’aura jamais un sou. Rien donc de plus impossible qu’un mariage entre eux. Mon frère est beaucoup trop sensé pour rêver une semblable folie.

Quelques jours plus tard, les deux familles, auxquelles s’étaient jointes Martine Simonin et Mme Richard, s’entassaient dans deux cabriolets de louage, préalablement bourrés de pâtés et de gâteaux. Pour célébrer la présence de ses parens en Bretagne, le lieutenant n’avait rien imaginé de mieux qu’une partie de pêche. Les voitures se dirigèrent vers le Port-Louis. Là on fréta un bateau qui accosta rapidement la plage de Gavre. Dès qu’on eut pris quelques poissons, il fallut s’occuper du déjeuner. Avec quatre avirons et deux