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femme sur le froid et sur le chaud, sur la sécheresse et sur la pluie. Elle sentait assez de bonheur en elle pour défier tous les ennuis extérieurs. Jean apparut bientôt à la porte de son grenier, puis dans le jardin. Les deux jeunes gens se serrèrent silencieusement la main, et s’assirent l’un près de l’autre sur un banc rustique abrité par un magnolia.

— Vous avez une voix admirable et un grand talent ! dit Jean à sa cousine.

— Ginevra me l’a dit quelquefois, répondit Hermine.

— Pourquoi restez-vous en province ?

— Ma famille ne voudrait pas quitter Hennebon, dit tristement Hermine.

— Alors quittez votre famille. Vous devez compte à tous de vos grandes facultés. Vous êtes née pour donner à la foule des émotions sublimes. Si vous préférez un repos égoïste, vous serez, croyez-moi, la première à en souffrir.

— Je souffre horriblement, dit Hermine avec découragement ; mais que puis-je faire ? Les femmes ne sont pas libres de choisir leur destinée.

— Je le sais bien, répondit Jean. Les seules carrières ouvertes aux femmes, qu’on dit si faibles, sont les carrières qui exigent l’extrême effort physique ou l’extrême effort moral. Entre ces deux efforts, faites votre choix. Fortifiez votre âme, et soyez artiste.

— C’est impossible, dit Hermine. J’ai quelquefois pensé à tout cela, mais à Hennebon je ne puis rien entreprendre, … rien, … et je n’espère aucun changement dans ma vie.

— Pourquoi donc ? observa Jean. Partez pour Paris ; vous y trouverez votre amie la Ginevra.

— Que je déshonore mon père ! que je fasse mourir ma mère de chagrin ! s’écria Hermine terrifiée.

— Votre père et votre mère s’opposeraient à votre départ ! reprit Jean stupéfait.

— Comment pouvez-vous le demander ? dit Hermine.

Les yeux d’Hermine regardaient l’horizon sans rien distinguer ; ses doigts froissaient machinalement une branche de verveine arrachée à un buisson voisin. Son bonheur de la veille n’était déjà plus qu’un songe lointain : elle ne savait que penser de Jean. Bien qu’il ne pût s’expliquer complètement l’effet produit par ses paroles, Jean sentait qu’il avait blessé Hermine, et il l’observait avec une tristesse inquiète. Ils avaient passé ainsi plusieurs minutes dans un profond silence, lorsque la voix de Mme Tranchevent se fit entendre à l’extrémité du jardin. Comme de coutume, elle descendait pour arroser ses fleurs.