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Jean s’arrêta ici. — Comment faire parvenir sa lettre jusqu’à Hermine ? — Le soleil dorait déjà les tours de la vieille église quand il entrevit la possibilité d’une solution. Après mille projets, sa pensée s’arrêta sur Mme Chabriat. Appelée comme médecin près d’Hermine, Mme Chabriat devait oublier devant sa malade tous ses préjugés de femme. Avant sept heures, Jean frappait à la porte de la bonne dame. Malgré ses résolutions, il avait ajouté à sa lettre cinq ou six pages dans lesquelles son cœur s’épanchait en cris de douleur, en effusions de tendresse. Nous n’essaierons pas de transcrire ces lignes intraduisibles.

Mme Chabriat ouvrit elle-même sa porte. En reconnaissant Jean, elle recula indignée. Grâce à Mme Louise, le nom de l’amant d’Hermine avait déjà fait le tour d’Hennebon. Jean, possédé par une idée fixe, ne remarqua même pas la physionomie de Mme Chabriat. Presque d’autorité, il referma la porte et raconta franchement, naïvement, avec toute son âme, la scène de la veille.

— Comment ! vous consentiez à épouser Hermine, et le lieutenant vous a refusé son autorisation ? s’écria Mme Chabriat stupéfaite. Il devient donc fou, ce cher lieutenant ?

Jean ne s’était pas trompé ; après quelque hésitation, Mme Chabriat consentit à remettre la lettre à Hermine. L’état de la malheureuse fille était, disait-elle, fort alarmant. Hermine ne pleurait pas, ne se plaignait pas. Un assoupissement douloureux, interrompu par des crises nerveuses et par une toux sèche, faisait craindre une maladie longue et grave ; une émotion heureuse amènerait peut-être quelque révolution favorable. Puisque les intentions de Jean étaient celles d’un galant homme, Mme Chabriat ne voyait nul inconvénient à tenter une médication morale. Jean remercia Mme Chabriat avec un attendrissement qui lui gagna le cœur de la vieille dame.

Une heure plus tard, Hermine avait lu la lettre de son cousin ; elle n’apprit qu’alors ce qui s’était passé entre lui et son père. Caroline avait reçu l’ordre de ne rien raconter à sa sœur, et la bonne fille avait scrupuleusement respecté les injonctions paternelles. Quand elle rentra dans la chambre d’Hermine, d’où Mme Chabriat l’avait adroitement éloignée pendant sa visite, Caroline trouva sa sœur dans une agitation extraordinaire. — Supplie mon père de venir me voir ; il faut absolument que je lui parle, il le faut, entends-tu bien ! criait avec exaltation la pauvre Hermine.

Caroline céda aux prières de sa sœur et se rendit près du lieutenant. — Je ne la reverrai jamais, répondit-il. Dès que sa santé le permettra, elle quittera une maison qu’elle a remplie de honte et de deuil. — Caroline rapporta fidèlement ces cruelles paroles.

Jusque-là Hermine ne s’était rendu un compte exact ni de sa situation,