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L’infortunée qui se réveille de sa léthargie, peut-être d’un songe heureux, pour se sentir emprisonnée dans un linceul, murée vivante dans une tombe, n’éprouve pas des angoisses plus cruelles que les angoisses qui déchirèrent le cœur d’Hermine. Tout à l’heure l’espace libre, les cieux étincelans, et maintenant plus rien, rien que la pierre froide du sépulcre !…

Le lendemain, vers quatre heures du matin, une voiture de louage s’arrêtait devant la maison du lieutenant. Caroline y fit placer des paquets, des malles, puis elle alla chercher sa sœur. Hermine, stupide de douleur, se soutenant à peine, descendit les deux étages. Au bas de l’escalier, une femme en pleurs l’étreignit dans ses bras sans prononcer un mot. La mère d’Hermine désobéissait en ce moment aux ordres les plus formels de son mari. Caroline entraîna sa sœur vers la rue. Le postillon, un gros garçon de ferme, prit Hermine dans ses bras et la coucha au fond de la voiture. Caroline se plaça sur la banquette de devant près du postillon. Le fouet claqua, les roues s’ébranlèrent sur le pavé, rendu glissant par une pluie fine, et le cabriolet disparut dans les rues encore désertes. Mme Tranchevent était étendue demi-morte sur les dernières marches de l’escalier. Le lieutenant sanglotait dans sa chambre.


V
CAMILLE A HERMINE

« Pourquoi donc es-tu restée près d’un an sans m’écrire, ma chère âme ? Tu sais bien que personne ne t’aime autant que moi ! Au fond de ta prison, dis-tu, par le plus grand des hasards, la nouvelle de mon mariage t’est parvenue ; moi aussi, ma chérie, j’ai vaguement entendu parler de toi. On m’avait raconté, et cela d’après l’affirmation d’un des membres de ta famille, que, saisie d’une grande ferveur religieuse, tu t’étais retirée dans un couvent avec l’intention d’y prendre le voile. Moi qui me rappelais nos beaux rêves, ton chant passionné, ta beauté ravissante, je doutais encore. Ta lettre m’a prouvé que j’avais raison. — Puisque tu as bien voulu être complètement franche avec moi, permets-moi de te gronder un peu, ma petite Hermine. Comment as-tu pu être assez maladroite pour te perdre ? L’histoire de ton amour te semble prodigieuse, inouïe ; tu crois ton imprudence sans pareille, ton audace sans exemple ! Eh ! ma pauvre enfant, ce que tu as fait dans des circonstances extraordinairement favorables, je l’ai osé faire, moi, dans des conditions que tu ne saurais imaginer. — Autrefois, quand notre délicieuse intimité m’entraînait à quelque confidence, tes questions