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tendance se dessine qui ne fera plus que grandir jusqu’à ce qu’elle ait atteint son maximum dans le gothique. Les chapiteaux seuls peuvent raconter cette histoire. Feuilles d’acanthe, volutes et moulures, tout chez les Grecs était arrivé à s’immobiliser, à se couler dans un moule immuable. On n’avait pensé que pour trouver des axiomes qui à l’avenir tinssent lieu de penser ; l’esprit des individus n’avait travaillé que pour inventer un formulaire national d’architecture. Satisfait de lui-même, le Grec tournait toute son attention sur l’homme. Préoccupé avant tout d’exprimer ses propres idées et ayant un médiocre souci des choses de la nature, si ce n’est par rapport à lui-même, n’introduisant le paysage dans ses sculptures que pour faire valoir ses figures humaines, n’employant l’ombre et la lumière que pour écrire plus lisiblement et plus agréablement ses propres inventions, aimant partout enfin l’unité, l’ordre et la symétrie, c’est-à-dire ce qui ne se trouve pas dans la nature, ce qui atteste la présence et l’action de la volonté humaine, le Grec tendait toujours, quand il s’inspirait d’une forme végétale, à faire bon marché de ce qui caractérisait l’objet imité. Son but n’était pas de garder le portrait d’une chose aimée ; en réalité, il n’empruntait une forme à la nature que par amour pour ses idées propres et parce qu’il espérait en tirer un bon parti pour atteindre ses propres fins ; il était toujours prêt à dénaturer l’objet naturel, à enlever à la feuille sculptée sa souplesse, à la simplifier, la systématiser, à la changer en un simple moyen de décoration. Le formalisme et la contemplation de soi-même, voilà donc les deux élémens essentiels de l’architecture grecque. Ils ont un rapport assez évident avec l’esprit des sociétés païennes ; c’est bien le même socialisme qui, chez tous les peuples de l’antiquité, sacrifiait impitoyablement l’individu à l’état, qui en fait de religion ne connaissait qu’un culte national, un culte adressé aux dieux de la nation, où le citoyen n’intervenait que pour accomplir au nom de tous les prescriptions d’un rituel impersonnel ; c’est bien le même paganisme qui faisait du bien public le seul objet de la morale. On sait assez d’autre part que l’amour de la gloire, c’est-à-dire l’orgueil, était à peu près le seul point d’appui que les anciens eussent trouvé contre l’égoïsme. Comme le remarque M. Ruskin, il y a au moins deux vertus chrétiennes dont on ne retrouverait pas la notion chez eux, à savoir l’humilité et l’abnégation.

De l’art grec, au contraire, si on reporte les yeux sur l’art byzantin, sur ses chapiteaux ou ses moulures, on voit que dès le début la forme convenue de l’acanthe grecque montre une disposition à s’animer et à s’assouplir. Elle garde encore sa régularité symétrique, et jamais les Byzantins ne se débarrasseront complètement de cette raideur conventionnelle. Comme chez les races épuisées, ce sera toujours