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trop rarement ; les uns coûtent trop peu de main-d’œuvre, les autres encore ne sont pas exécutés de même dans toutes les circonstances ou dans tous les terrains. On doit d’ailleurs, pour bénéficier réellement d’une machine, l’appliquer à des travaux d’une notable importance : il est plus économique de battre au fléau une récolte de mille gerbes que d’acheter une batteuse. Il y a donc tantôt diverses opérations, tantôt diverses conditions qui ne se prêtent pas également, ou même qui se refusent entièrement à l’emploi des machines.

Tant mieux, penseront quelques esprits animés de bonnes intentions plutôt qu’éclairés de grandes lumières ; il n’y a déjà que trop de machines dans le monde, car elles suppriment les hommes, puisqu’elles rendent leur travail inutile. En ce qui concerne l’agriculture, on peut dire que ce reproche n’est pas applicable, si tant est qu’il soit fondé quelque part. Ce sont les bras qui nous manquent, ce n’est pas le travail qui manque aux bras de nos ouvriers ; mais on ne saurait admettre, sous aucun rapport, que les perfectionnemens de la mécanique aient sur le sort des classes laborieuses l’influence funeste dont se plaignent plusieurs personnes. Les machines constituent pour les faibles et les pauvres un véritable affranchissement : elles sont aux peuples modernes ce que les esclaves étaient aux peuples antiques ; elles augmentent la puissance de l’homme, qui, au lieu de rester une force brute, devient, grâce à elles, le guide d’une force travaillant au profit de la société tout entière, au profit du maître, au profit de l’ouvrier même sous la main duquel agit la machine. Le développement de ces utiles engins marche de pair avec celui de la civilisation ; il n’est donc ni possible ni souhaitable d’en arrêter le cours[1].

Il ne faut pas d’ailleurs s’exagérer le rôle et les services de certains appareils agricoles. L’introduction de ces appareils dans toutes les grandes fermes devient indispensable, et cependant l’emploi en mainte occasion n’en est pas beaucoup plus économique que le travail à

  1. S’il fallait adresser à la mécanique quelques reproches, ce n’est pas de remplacer en partie les bras trop rares de nos journaliers ruraux qu’il conviendrait de l’accuser ; mais il y aurait à déplorer que fatalement, du moins en ce qui concerne l’exploitation des champs, les machines tendent à diminuer le travail à la tâche et le travail des femmes. La femme est trop faible pour diriger ou pour suivre dans leur actif mouvement nos instrumens agricoles, et ceux-ci, qui doivent le plus souvent appartenir au maître du domaine et être mis en œuvre par ses attelages, ne se prêtent guère à l’intervention des ouvriers tâcherons. Cette dernière plainte est la plus grave, car le travail à la tâche est toujours plus moral que le travail à la journée, tandis que la femme saura bientôt retrouver dans l’intérieur de son ménage, dans son petit jardin, dans quelques travaux étrangers, un emploi utile et des ressources notables. C’est ainsi que dans l’Orne les femmes s’occupent, pour le compte des fabricans de Paris, à la couture des gants de peaux ; dans la Haute-Loire, elles font de la dentelle ; ailleurs c’est la broderie, etc., qui les occupe ou pourrait les occuper.