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le peuple français, par conséquent discutable, Qu’est-il arrivé cependant quand le droit d’avertissement aux journaux était exercé par les préfets seulement ? Nous trouvons, dans le recueil que M. Vingtain a fait de tous les avertissemens que la presse a reçus depuis huit ans, qu’il y a des préfets qui érigent en principe « que le chef de l’état doit rester en dehors de tous débats, et qu’il n’est pas permis d’invoquer comme élément de discussion ses opinions vraies ou supposées[1]. » Un autre préfet avertit un journal parce que les réflexions qu’il a faites « renferment contre l’autorité départementale une menace d’appel devant une puissance désignée sous le titre vague d’autorité supérieure, et qui ne peut être que la personne même du chef de l’état, qu’un sentiment de respect et de haute convenance devait empêcher de mettre en cause[2]. » Il est évident que les considérans préfectoraux que je viens de citer ne s’accordent pas avec l’article 5 de la constitution de 1852 et la proclamation du 14 janvier 1852. Cette proclamation en effet disait « qu’écrire en tête d’une charte que le chef du gouvernement est irresponsable, c’est mentir au sentiment public, c’est vouloir établir une fiction qui s’est trois fois évanouie au bruit des révolutions. La constitution actuelle proclame au contraire que le chef que vous avez élu est responsable devant vous. » Ainsi, tandis que la constitution déclare que le chef du gouvernement est responsable et par conséquent discutable, les préfets ressuscitent contre la presse la vieille doctrine de l’irresponsabilité royale. Je ne suis pas étonné que l’administration centrale, voyant les écarts de ses préfets, leur ait enlevé l’exercice spontané du droit d’avertir la presse. Les avertissemens ne sont plus donnés maintenant dans les départemens qu’avec l’approbation du ministre de l’intérieur. Cette mesure est utile à tout le monde : à la presse, qui est frappée de plus haut, mais moins souvent ; aux préfets, qui risquent moins de se compromettre par des considérans irréfléchis.

Ce n’est pas que je veuille ici rejeter sur les préfets de provinces tous les maux de la presse. Ils n’ont fait que pratiquer avec plus ou moins d’habileté une loi difficile à manier. J’aurais d’ailleurs bien des choses à dire pour excuser les préfets : le besoin de montrer leur zèle, le désir tout naturel de faire prendre à l’autorité préfectorale sa revanche des affaiblissemens qu’elle avait subis sous l’ancien régime constitutionnel, l’exaltation ou l’enivrement du principe d’autorité. De là, dans le curieux recueil de M. Vingtain, des considérans dont les uns ressemblent quelque peu à des demandes d’avancement,

  1. Avertissement de l’Ami de l’Ordre de Noyon Oise, 6 juin 1852, p. 197.
  2. Avertissement du Progrès du Pas-de-Calais, 10 mai 1852, p. 182.