Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des arrêts rendus au nom de l’histoire en conseil de préfecture, et qui érigent en divinité infaillible et inattaquable la mémoire de Napoléon Ier : il y a tel département où le dix-septième volume de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, avec son mélange de sévérité et d’admiration, n’aurait pas pu être publié[1]. Les préfets sont disposés à croire que la moindre critique « affaiblit le principe d’autorité[2] » ou « laisse percer une hostilité mal déguisée[3]. « Jusqu’où ne va pas la passion de ce principe d’autorité, excellent en spi, mais qu’il ne faut pas que tout le monde puisse appliquer à tout ? Un préfet plein de bonnes intentions croit que certains engrais peuvent être très utiles à l’agriculture : un journal critique cet engrais. Le préfet alors, « considérant que la polémique ouverte dans ce journal au sujet des engrais industriels est de nature à infirmer la valeur et les résultats des mesures de vérification prises par l’administration, qu’elle ne peut porter que l’indécision dans l’esprit des acheteurs et nuire ainsi considérablement à l’agriculture en les détournant d’employer une substance dont les excellens effets, lorsqu’elle est de bonne qualité, ne sont pas contestables, » avertit le journal[4]. Je ne demande pas mieux, quant à moi, que de croire à l’excellence des engrais industriels ; mais amenderont-ils mieux ma terre parce qu’ils sont déclarés inattaquables ?

J’ai cité quelques exemples du recueil de M. Vingtain, pour montrer combien il faut de sagesse et d’habileté pour pratiquer le droit d’avertissement. Si je regarde maintenant ce qu’il faut de circonspection et de bonheur dans les écrivains pour éviter d’encourir les avertissemens, je suis forcé de dire que la loi de la presse n’est pas moins difficile pour ceux qui y obéissent que pour ceux qui l’exécutent.

M. Guizot disait un jour que nous ne savions pas faire usage des libertés qui nous restaient encore. Si la leçon de l’illustre orateur s’adressait au sénat et au corps législatif, elle pouvait être à propos ; mais elle ne pouvait pas s’adresser à la presse. Je puis être tenté de faire usage de ma liberté, quand je sais où elle commence et où elle finit. Quand la limite légale de mon droit n’est pas fixée, quand on me dit de parler comme je veux, à la condition de ne pas déplaire à l’administration, et que l’administration ne me dit pas d’avance ce qui lui déplaît ; quand, pour avoir rencontré son déplaisir, sans avoir pu le prévoir, elle me frappe d’un avertissement, qui, répété deux fois, fait que le journal peut être supprimé du jour au lendemain,

  1. Avertissement du Spectateur de Dijon, 17 avril 1852, p. 164.
  2. Avertissement du Courrier de Verdun, 28 juillet 1852, p. 216.
  3. Avertissement de la République de Tarbes, 18 août 1852, p. 240.
  4. Avertissement du Journal de l’arrondissement de Loudéac, 29 avril 1854, p. 301.