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IV.

Je ne veux pas pousser plus loin cette étude de la constitution de 1852. On voit dans quel esprit je l’ai faite, non pour la critiquer, non pour en montrer les défauts et les imperfections, mais au contraire pour indiquer de quelle manière elle peut être pratiquée et comment la liberté peut s’en servir. Ceux qui jugent cette constitution avec sévérité ou avec mauvaise humeur peuvent dire qu’elle n’a que deux manières d’être pratiquée, par le despotisme ou par la révolution alternativement. J’avoue qu’à la considérer en logicien pur, elle se prête à cette double pratique ; mais la logique ne gouverne pas le monde, et quand même tous les dialecticiens du monde s’efforceraient de me prouver que la constitution de 1852 ne peut être pratiquée libéralement qu’à l’aide de l’inconséquence, je répondrais sans hésiter : Soyons inconséquens, mais soyons libéraux. Que gagnerions-nous à ne pas nous servir de la constitution de 1852 ? que gagnerions-nous même à la voir aboutir un jour à la révolution après avoir traversé le despotisme ? Nous l’avions bien dit ! pourrions-nous alors nous écrier ; mais le plaisir d’avoir prévu le mal ne vaut pas l’avantage de l’éviter.

À côté de ceux qui croient qu’il ne faut pas s’occuper de la constitution de 1852, même pour l’améliorer, il y a ceux qui craignent que le désir de l’améliorer ne soit qu’une tentative de la rapprocher par la pratique de la charte de 1814 et de 1830. Essayer de revenir plus ou moins au gouvernement parlementaire ! quelle horreur ! quelle honte ! Je dirais volontiers à ceux qui s’alarment de ce côté : Rassurez-vous ; entre la constitution de 1852 et la charte de 1830, la différence est telle que la pratique la plus intelligente ne pourra jamais l’effacer. Mais un grand orateur et un grand historien a répondu, mieux que je ne pourrais le faire, à ces bruyans improbateurs du gouvernement parlementaire ; M. Guizot dit au commencement du troisième volume de ses mémoires[1] : « Les hommes de sens souriront un jour au souvenir du bruit qui se fait depuis quelque temps autour de ces mots : gouvernement parlementaire, et des mots qu’on met en contraste avec ceux-là. On repousse le gouvernement

  1. Ce troisième volume me semble encore supérieur aux deux autres. Le récit y est admirable, et, quant aux portraits, ils ont une expression de vérité sans minutie qui en fait de vrais chefs-d’œuvre. On a dit des grands peintres comme Raphaël et comme Titien qu’ils étaient admirables dans leurs portraits précisément parce qu’ils ne cherchaient pas les mérites particuliers de ce genre. M. Guizot fait ses portraits de la même manière. Il rencontre la vérité des individus en cherchant la vérité générale de l’histoire.