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répandus sur tout le parcours. Dans la ville, il a pour ouvriers permanens trois ou quatre cents individus sur trois mille, et il enrichit tous les autres par le commerce. Son action d’ailleurs est universelle et se fait sentir d’un bout à l’autre du versant occidental de l’Amérique. C’est grâce à lui que la compagnie anglaise de Southampton et les compagnies rivales de New-York ont pu organiser des services de steamers qui vivifient toutes ces côtes, et régularisent les relations du Pacifique avec-les États-Unis et avec l’Europe. Ce sont là des titres de premier ordre qu’on ne peut passer sous silence, et si le chemin de fer de Panama paie chaque année 40 ou 60 pour 100 à ses actionnaires, il ne leur donne que la juste rémunération d’une courageuse initiative, dont les résultats toujours grandissans témoignent des bénéfices promis à de plus vastes entreprises.

Il faut, du reste, lui rendre cette justice qu’il ne mérite plus aujourd’hui les appréhensions dont il fut l’objet dans le principe. Construit d’abord à la hâte, dans des conditions singulièrement difficiles, il a été le théâtre de nombreux sinistres ; encore avait-il fallu sacrifier bien des vies d’hommes pour obtenir un premier passage à travers des marécages mortels, dont le sol fangeux se dérobait à toute consolidation. Les travaux ultérieurs de la compagnie ont fini par créer un véritable sol factice, et à défaut d’ouvrages d’art que le génie américain ne comporte pas, on a réalisé sur plusieurs points des améliorations considérables. C’est ainsi qu’à la station de Barbacoas, à peu près au milieu de l’isthme, des ponts de bois plusieurs fois emportés ont été remplacés par un pont de fer de 4 à 500 mètres de longueur et importé de New-York. Il ne faut cependant demander à ce chemin ni grande vitesse ni comfort ; il n’y a comme aux États-Unis qu’une seule classe pour les voyageurs, et chaque wagon doit contenir soixante personnes assises sur des sièges de bois. Rien de plus démocratique, mais on passe, et pour les soixante mille émigrans qui chaque année vont en Californie ou en reviennent par cette voie, l’essentiel est de passer. Peu d’entre eux songent même à jeter un coup d’œil sur le panorama vraiment pittoresque et parfois effrayant de la route.

Ce qui limitera néanmoins, quoi qu’on fasse, le développement de ce coin de terre, si bien placé pour servir de trait d’union aux deux océans, c’est l’insalubrité du climat. Cette insalubrité a été jusqu’ici le grand épouvantail de l’émigration ; elle a même frappé de discrédit des régions voisines, comme l’Amérique centrale, qui se trouvaient dans des conditions climatériques diamétralement opposées. La vérité est qu’à Panama comme à Aspinwall, comme sur plusieurs autres points de la côte néo-grenadine, la saison des pluies amène des fièvres intermittentes qui dégénèrent bien vite en