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saison des pluies débuta la nuit suivante par des cataractes tropicales qui durèrent dix-sept jours consécutifs. Soixante personnes durent rester entassées, pendant ce laps de temps, dans une pauvre cabane de chaume mesurant 30 mètres carrés, le seul édifice qui eût été oublié par les incendiaires. D’autres s’étaient enfuis dans des îles inhabitées, au fond des grands bois, au milieu des tigres et des serpens, moins à craindre pour eux que la vengeance yankee. Ce ne fut que longtemps après que cette population dispersée, éprouvée par tant de souffrances, put se bâtir de nouveaux abris auprès des décombres des anciens. L’incendie avait été si intense qu’aujourd’hui encore les débris forment des masses coagulées où les étoffes, les porcelaines, les cristaux et les objets de fer ou de cuivre semblent tordus et vitrifiés par la même fusion ; et que, dans l’imagination des victimes, il est devenu non-seulement un lugubre souvenir toujours vivant, mais encore une menace perpétuelle pour l’avenir.

Que faisait le pavillon mosquite en présence de ces terribles représailles de 1848 ? Il subissait le sort commun, se laissait fouler aux pieds, et n’a formulé depuis aucune protestation. Il y avait cependant des intérêts anglais considérables engagés dans la catastrophe, et le jack britannique n’a pas l’habitude de dédaigner le chapitre des réparations pécuniaires ; mais il s’agissait des États-Unis et non de la Grèce. Toutes les réclamations des citoyens anglais, appuyés sur les chiffres d’une enquête officielle, ont été repoussées ; un ministre de la reine a même eu le courage de déclarer en plein parlement que c’était là un fait de guerre qui ne pouvait donner lieu à aucun règlement d’indemnités, et il n’y a pas longtemps qu’une puissante maison de Liverpool s’est encore écroulée par suite des pertes qu’elle avait subies dans cet inqualifiable guet-apens

Grey-Town ne s’est jamais relevé de ce désastre. Le paiement de l’indemnité qui lui était due, et que l’enquête officielle avait déterminée, aurait eu ce double résultat de réparer le dommage matériel et de dégager la responsabilité morale du gouvernement de l’Union ; le principe même de la dette n’en à pas moins été repoussé par le congrès de Washington, et la France, qui seule avait pris l’initiative d’une honorable réclamation, n’a pas cru devoir insister après ce premier échec. La continuation du transit aurait pu, à la longue, cicatriser encore ces blessures saignantes ; mais un an ne s’était pas écoulé que Walker, devenu maître du Nicaragua, mettait la main sur les steam-boats de la compagnie américaine pour s’en faire de l’argent, et, ne trouvant personne pour les acheter assez cher, les lançait dans les hasards de ses opérations militaires. La plupart de ces vapeurs se sont perdus dans la guerre nationale. On