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viennent jeter de l’incertitude sur les conclusions à tirer de l’expérience. Bornons-nous à dire, relativement au choix des cépages à introduire en Algérie, que les variétés estimées en Bourgogne, notamment, les francs-pineaux ou pineaux noirs, blancs et dorés, et quelques plants tirés de l’Espagne, du Portugal ou du Cap de Bonne-Espérance ont produit aux environs d’Alger et de Médéah, dans les crus d’Aïn-Chellala et d’Ermaly, des vins d’une limpidité parfaite, d’une nuance vineuse irréprochable et d’un bouquet assez suave pour être classés (dans les concours des sociétés d’agriculture et d’horticulture en 1860) au rang des bons vins de table par l’un de nos plus habiles et consciencieux dégustateurs, M. Castéra. Le moyen de réaliser dans un temps peu éloigné l’amélioration générale des vins en Algérie consistera tout d’abord à entreprendre et à mener de front plusieurs expériences comparatives, à cultiver par exemple dans chaque contrée viticole les variétés de vigne qui donnent les meilleurs vins des crus renommés en Bourgogne, en Champagne, à Bordeaux et dans nos départemens du midi. Il conviendrait d’y joindre des plants des principaux cépages d’Espagne et du Portugal, et surtout de pratiquer ces essais de culture, relativement à chacune des variétés, sur une superficie assez large pour obtenir de la vendange une quantité telle de raisin qu’il fût possible d’en former une cuvée à part, sur laquelle on concentrerait les précautions essentielles dans les procédés de fermentation appropriés aux circonstances locales[1].


II

La culture de la vigne, au point de vue de la fabrication des vins, réunit depuis les temps les plus reculés une partie des avantages remarquables qu’offre de notre temps l’alliance de l’industrie manufacturière avec l’agriculture[2]. Avant toutefois de songer à cette

  1. Dans le grand concours national d’agriculture qui vient de se terminer par la distribution des récompenses, les vins d’Algérie présentés par un habile viticulteur, M. Dumas, de Médéah, ont obtenu la grande médaille d’or : on a surtout remarqué ses imitations de madère, de muscat frontignan, même un vin rouge de table rappelant certains produits ordinaires de la Bourgogne, remarquable par sa complète diaphanéité, signe certain d’une facile conservation.
  2. M. Jules Guyot, dans un récent ouvrage intitulé Culture de la vigne et vinification, en cite de curieux et positifs exemples, puisés dans ses observations directes et sa pratique personnelle. Voici comment il établit les bases du rendement comparatif à superficie égale de la ferme et du vignoble en Champagne :
    . Vingt-quatre hectares de terrains défrichés mis en culture de ferme donnent, après douze années d’avances de capitaux et de temps, un produit brut annuel de 5, 600 francs soit 233 francs par hectare, recueilli sur huit parcelles de trois hectares chacune, emblavées successivement en froment, avoine, seigle jachère, orge et prairies artificielles maintenues trois années.
    La même superficie plantée en fins cépages pineaux noirs donne, au bout de huit années de temps et d’avances, un produit brut annuel, calculé sur une moyenne de douze ans, qui s’élève à 30,000 francs *, c’est-à-dire à 1,500 francs par hectare, ou six fois et demie environ plus élevé que le produit de l’hectare de ferme dans la même localité. Dans les terres de la Champagne où l’on cultive les gros cépages ou gamays, la vendange vaut encore trois fois plus à égale superficie que la récolte brute de la ferme. Ces résultats, considérés au point de vue des intérêts de la population, offrent encore de plus remarquables différences. En effet, la valeur moyenne de la main-d’œuvre pour la culture et la récolte d’un hectare de ferme atteint à peine 25 francs, tandis que le salaire des ouvriers pour un hectare de vigne en Champagne varie, suivant les crus, de 125 à 400 francs. La culture des vignobles peut donc entretenir une population ouvrière de cinq à seize fois plus nombreuse que la culture des champs.
    • En tenant compte des maladies de la vigne et des intempéries des saisons, on a constaté une récolte moyenne de quinze pièces de vin, contenant chacune deux hectolitres, dont le prix moyen a dépassé 50 francs l’hectolitre.