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satisfait de momeries ; mais la religion même est toujours respectée par eux. Ils ne sont acceptés qu’à cette condition par les gens qui se piquent de bonne éducation et de savoir-vivre. Une critique de cet ordre ne se fait admettre qu’avec des ménagemens infinis, lorsqu’elle porte sur les ministres du culte, et les remarques de l’autocrate à propos des « prédicateurs qui n’entendent jamais de sermons » sont sous ce rapport tout à fait caractéristiques. « Toute profession, dit-il, demande une longue étude… Les gens comme il faut chez nous entendent, bon an, mal an, une centaine de sermons ou de discours sur le dogme. Ils lisent en outre bon nombre d’ouvrages théologiques. Le prêtre, en revanche, entend rarement d’autres sermons que ceux qu’il prêche lui-même, et on s’explique fort bien que tel prédicateur routinier et sans génie tombe peu à peu dans un état de quasi-paganisme, simplement parce qu’il manque d’instruction religieuse. D’un autre côté, tel auditeur doué d’une intelligence active et attentif aux enseignemens successifs d’une série de commentateurs éloquens pourrait à la longue devenir un meilleur théologien que pas un d’eux. » — « Nous sommes tous étudians en théologie, ajoute M. Wendell Holmes, et souvent plus dignes du titre de docteur que ceux qui l’ont reçu après examen dans nos universités… » Et quelle conclusion tire de là ce fier revendicateur de l’érudition laïque ? On ne le devinerait jamais. C’est qu’un sermon, même mauvais, profite encore à l’auditeur intelligent, et dès lors forcément inattentif. Ce discours, en lui-même insignifiant, agit par induction, pour nous servir d’une expression empruntée au vocabulaire de la science électrique, et en déterminant au sein de l’intelligence des courans qui n’étaient point en jeu. Le prédicateur fournit le thème sur lequel l’esprit de l’auditeur brode des fioritures sans nombre ; il provoque un appétit qu’il ne saurait satisfaire, et auquel fournit pâture la faculté créatrice cachée au dedans de nous.

Cette foi des Américains en même temps si fière et si humble, si libre et si docile, qui voit si bien toute lacune et la comble avec tant de zèle, est peut-être le lien qui retient en faisceau les forces exubérantes de cette vaste communauté, si laborieuse, si aventureuse, si téméraire. Elle est honnêtement, sincèrement religieuse, et dans le respect qu’elle accorde, non pas à tel ou tel culte, mais à l’idée générale d’un pouvoir suprême, elle trouve le contre-poids de ses instincts matériels si développés et de sa hardiesse spéculative poussée si loin. Cette idée se résume admirablement dans un des récits authentiques qu’a donnés de sa vie un de ces missionnaires méthodistes qui vont de tous côtés, portant librement la parole de vie aux congrégations de leur secte disséminées sur le vaste territoire