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mais ensuite, — et c’est ici le point essentiel, — jamais en France un humble curé de village, un pauvre missionnaire à peu près mendiant n’oserait flageller d’une si vive parole les méfaits de gens qu’il tiendrait pour ses supérieurs. Et s’il s’y hasardait, entraîné par un saint zèle, il serait infailliblement blâmé, réprouvé pour ce « fanatisme » de mauvais goût.

Au missionnaire américain, voulez-vous savoir ce qui arriva ? Il s’était retiré dans sa cabine, un peu embarrassé, il l’avoue, de sa vive improvisation, mais tout prêt néanmoins à maintenir le langage qu’il avait cru devoir faire entendre. Pendant qu’il était absorbé dans ses réflexions, on frappe à sa porte. Un passager se présente et lui dit : « Je suis chargé par les membres du congrès qui ont assisté à votre sermon de vous rendre grâces, en leur nom, de la franchise avec laquelle vous leur avez parlé. Ils ont fait entre eux une collecte destinée à votre œuvre, et vous prient d’accepter les cent cinquante dollars renfermés dans cette bourse comme un gage de leur estime et de leur reconnaissance. Je viens également vous demander en leur nom si vous accepteriez la charge de chapelain du congrès. Ils s’engagent, s’il en est ainsi, à vous faire nommer immédiatement. » L’offre fut acceptée après quelques minutes d’hésitation, et quelques jours plus tard M. Milburn recevait effectivement la nomination promise.

Revenons à nos essayists et surtout à miss Fanny Fern, dont nous avons peu parlé. Sous ce pseudonyme, et prenant le rôle d’une vieille fille désabusée, miss Willis, — nous ne lui connaissons pas d’autre nom authentique, — s’est fait remarquer dans la presse américaine par l’extrême vivacité de ses petits tableaux de mœurs et de ses boutades satiriques. Elle outre à plaisir la rude franchise qui appartient à son rôle fictif, et frappe à tour de bras sur les ridicules, les travers, les vices de ses compatriotes. Il faut voir de quel ton acariâtre et chagrin elle sermonne les hommes, célibataires ou mariés, leur égoïsme, leur vanité, leur gaucherie, leur avarice. N’allez pas croire cependant qu’elle ait pour son sexe une indulgence à toute épreuve. Elle sait aussi bien que personne combien les belles Américaines abusent de la condescendance, de la courtoisie qu’on leur témoigne : enfans gâtés et capricieux auxquels en définitive on laisse trop d’empire, et dont les fantaisies coûteuses, le luxe absurde, trop peu réprimés, ruinent plus de familles que d’activité de leurs maris n’en saurait enrichir. En tous ces intérieurs rapidement esquissés par Fanny Fern, soit qu’elle donne tort à l’homme, raison à la femme, ou vice versâ, la même situation se reproduit sans cesse. La dépense et la recette y sont aux prises. Le mari défend ses dollars comme il peut. Sa femme tourne autour du