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farine contre le poisson, l’huile, les peaux de rennes, de loutres, d’ours et de renards. Quant aux objets de fabrication, les Russes de la Mer-Blanche les tiraient autrefois du Finnmark norvégien, où on les apportait d’Allemagne ; mais ils se sont mis à fabriquer eux-mêmes, et au lieu d’acheter, ils vendent désormais. Des deux peuples, les Russes, il faut bien le reconnaître, déploient dans ces rapports le plus de persévérance et de hardiesse. Ils arrivent d’Arkhangel en tournant le Cap-Nord sur de mauvais navires, cousus avec des cordes d’écorce, que l’on croirait incapables de résister au moindre orage. Ils savent en outre profiter habilement et des tarifs de douane qui n’atteignent pas les denrées de première nécessité, et du privilège de traiter directement avec les pêcheurs, sans l’entremise des marchands, pendant une certaine période de l’année au moins. Ils sont plus riches, plus actifs et plus intelligens que les Lapons et les Norvégiens du Finnmark : raison de plus pour les accuser davantage, s’ils ont voulu changer en tyrannie ce qui devait rester une loyale et féconde réciprocité d’échanges. C’est ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Il faut les voir dans le port d’Hammerfest conclure leurs marchés, et l’on reconnaît bientôt lequel des deux contractans commande et lequel forcément obéit. Le pêcheur leur livre son meilleur poisson qu’ils examinent de près, trient avec soin et rejettent pour la moindre cause. Le choix fait, ils remettent leur farine ; elle est renfermée dans des sacs d’écorce de bouleau qu’on place dans la balance sans les ouvrir et qui renferment quelquefois, en forme d’appoint, d’étranges ingrédiens… Ils agissent durement et déloyalement, on les déteste et on les méprise ; mais ils arrivent comme la moisson de l’année, et il faut bien les accepter. Le gouvernement russe a paru quelquefois autrement inspiré : il a voulu essayer de l’effet des caresses sur la population du Finnmark, il a organisé à Arkhangel des écoles de commerce où il appelait la jeunesse norvégienne et où il s’efforçait de la séduire, il a répandu les insinuations et les promesses ; mais ses agens le servaient mal et irritaient les peuples en autorisant les exactions de leurs nationaux, en fermant aux troupeaux de rennes norvégiens les pâturages des hauteurs situés au-delà de la frontière, au risque de priver les leurs du bain de mer sur la côte norvégienne qui leur est nécessaire chaque été, en multipliant enfin les exactions et les mauvais traitemens.

Le gouvernement russe cachait mal d’ailleurs ses véritables projets. Le commerce, qui doit, en les rapprochant, réconcilier et civiliser les peuples, était entre ses mains un instrument secret d’usurpation violente et d’ambition coupable. Depuis plus d’un demi-siècle, au mépris du droit des nations, des conventions et des traités, la Russie travaillait sourdement et sans relâche, non pas seulement à