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fabrique de drap de M. David Bacot, qui ont parcouru les nouveaux établissemens de Mulhouse et de Dornach, la filature fondée à Roubaix par M. Motte-Bossut, et que les ouvriers appellent le Monstre à cause de ses proportions inusitées, ou encore la Chartreuse de Strasbourg, qui réunit une filature et un tissage, et que l’on peut justement citer comme un modèle de parfaite installation hygiénique, ceux-là n’accuseront pas le tableau que nous venons de tracer d’être embelli à plaisir[1].

Indépendamment des considérations morales qu’il importe de ne jamais oublier, l’hygiène est toujours meilleure dans les établissemens placés loin des villes. Ce qui mine à la longue la santé des travailleurs, c’est moins la fatigue que l’air vicié des ateliers, et de plus il arrive trop souvent que l’air est encore moins respirable dans leurs logemens qu’à la fabrique. C’est presque un bonheur pour eux d’avoir une longue traite à faire pour se rendre de la manufacture à leur domicile ; c’est un surcroît de fatigue, mais c’est un bain d’air salubre et vivifiant. M. Alcan, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, a constaté que les ouvriers qui demeurent au loin dans la campagne ont le teint plus coloré et sont plus vigoureux que les autres. Le terrain coûte moins cher hors des villes, et la fabrique peut s’étendre indéfiniment : rien n’empêche donc de s’en tenir au rez-de-chaussée et de supprimer les étages supérieurs. C’est un bénéfice pour le fabricant, dont la surveillance est rendue plus facile, dont tous les aménagemens sont améliorés. L’uniformité de la température et les moindres vibrations de la machine exercent également une action favorable sur la qualité des produits. Pour l’ouvrier, c’est une source considérable de bien-être parce que les salles du rez-de-chaussée, que rien ne surcharge, ont une hauteur beaucoup plus grande et peuvent être mieux ventilées.

D’autres améliorations ont été introduites dans le travail en fabrique. Avant l’invention du peignage mécanique, des apprentis appelés macteurs mâchaient constamment la laine pour arracher les

  1. Dans un établissement déjà mentionné, mais dont le cadre de cette étude nous interdit de parler en détail, à la cristallerie de Baccarat, il y a un atelier où l’on prépare le minium, et qui a fait longtemps le désespoir des directeurs. Rien ne leur a coûté pour l’assainissement de ce service : les maladies étaient fréquentes et atroces, la mortalité effrayante. À force de soins, d’argent, de persévérance, ils ont vaincu une difficulté qui paraissait invincible. Le mode de fabrication a été changé, les heures de travail réduites, le personnel doublé, de telle sorte que chaque ouvrier passe alternativement huit jours à l’atelier et huit jours au travail des champs. Les chefs de la maison ont voulu régler eux-mêmes tous les détails de la nourriture et se sont chargés de la fournir. Enfin ils ont jeté bas murailles et fourneaux et reconstruit l’atelier dans des proportions plus vastes et dans d’admirables conditions d’aération. Cet atelier, qu’on ne songe point à montrer aux visiteurs, honore autant la cristallerie de Baccarat que ses magnifiques produits, qui font l’admiration du monde.